Archives pour la catégorie FAQ sur l’art du pastel

Quelques interrogations sur la technique du pastel sec

.



Programme

Questions de Leszek.



Très attiré par le pastel, j’hésite néanmoins à franchir le pas car l’instabilité de la poudre me déconcerte quelque peu. (comme l’eau en aquarelle)

Impression de ne pas maîtriser les effets.

Peut-on superposer plusieurs couches sans les fixer, certains artistes expérimentés opèrent de cette manière.

Avec quelques échantillons j’ai tenté l’expérience, mais rien de probant : la poudre se mélange et ne donne pas la nuance recherchée.

De plus, j’ai l’impression que le pastel est un art d’une image approximative, peu détaillée. Plutôt un travail en grandes masses de couleurs.

Et pourtant j’ai déjà vu des réalisations très détaillées. (les crayons pastel ou les craies sont certainement les outils qu’il faut pour les détails)

Peut-on réaliser une oeuvre en utilisant uniquement les crayons pastel ? Quelle en est la qualité des pigments ?

Je travaille exclusivement avec des crayons de couleur et j’ai tendance sans doute à rechercher le même résultat avec le pastel…

Voici quelques premières questions que je me pose et qui me font hésiter à me lancer.

Ces questions seront traitées dans les messages suivants :

1 – La poudre de pastel est-elle déconcertante ?

2 – Comment superposer les couches de pastel sans les fixer ?

A) Aspect technique : l’accroche du pastel au support

B) Aspect artistique : la créativité de l’artiste

3- Le pastel : art d’une image approximative peu détaillée ?



4 – Comment obtenir des détails au pastel ?



5 – Peut-on réaliser une œuvre aux crayons pastel uniquement ?

………………

Retour à la page d’accueil

………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Pastel sec sur toile (3)

.

Question de Catherine, 11 janvier 2008

Le pastel est-il plus « pénétrant » sur papier Canson ou sur la toile ? Je pencherais pour le papier Canson. Je trouve les couleurs plus lisses, plus pénétrantes, plus belles, bien fondues, conservant tout ce que je veux montrer de puissant dans le choix de ce que je veux représenter dans le coup de crayon à mine… Je me lance à peine sur la toile c’est un fait mais le grain du lin de la toile accroche (peut être) le pastel : comment puis-je y remédier ? Ou est-ce irréversible ?

Réponse

C’est un peu un défi d’utiliser la toile en tant que support au pastel sec, mais l’art sans défi serait-il encore de l’art ?

La toile de lin est un bon choix. Une toile en fibres synthétiques aura tendance à rejeter la poudre du pastel, une toile en coton est poussive pour le pastel !

La texture irrégulièrement tramée de la toile de lin offre un support chaleureux, solide, de bonne tenue, agréable au toucher. Depuis l’Antiquité ce textile exerce une fascination sur les artistes. Cf. par exemple les portraits du Fayoum.

Travailler, à l’ère du cybernétique avec du pigment de pastel, médium si proche de la peinture rupestre, et sur un support de toile, prouve la nécessité du contact matériel avec l’œuvre, fondée dans les profondeurs mystérieuses de l’âme humaine depuis la nuit des temps.

En principe, le pigment du pastel est plus respecté sur support de papier car il s’y étale facilement, il n’est pas « forcé ». La toile tend à absorber le pigment ou à le rejeter en fonction de la texture de sa surface.

Sur une toile brute, le pastel aurait de la difficulté à bien s’étaler et de la poudre traverserait par endroit les fibres. Mais pour conserver le côté sauvage de la toile de lin naturelle, on peut la maroufler (coller) sur un panneau rigide.

Ci-dessous la reproduction d’un pastel sur toile de Arthur Dove, provenant du site

« O século prodigioso »
Arthur Dove (peintre Américain 1880-1946) a réalisé des pastels sur toile de lin, parfois marouflée sur bois.

« Vache » 1914. Pastel sur toile, 45,1 x 54,6 cm.
Alfred Stieglitz collection. 1949 (49-70-72)

La qualité du support de toile est tributaire de sa préparation. Sur une toile préparée pour la peinture à l’huile, l’enduit risque d’être un peu trop lisse pour une bonne adhérence du pastel. Essayez de tester les toiles préparées pour l’acrylique. Vous pourriez éventuellement enduire vous-même la toile à l’aide d’une base acrylique pour pastels.

Les gels « Golden » par exemple sont composés d’une résine acrylique permettant d’obtenir un film plus ou moins épais selon le gel utilisé. L’émulsion laiteuse devient translucide en séchant.

Vous qui appréciez la force de la couleur alliée à l’ingénuité du geste, vous pourriez essayer le pastel à l’huile sur toile. Les couleurs du pastel à l’huile sont intenses et ont une très bonne accroche sur la toile, quelle soit brute ou préparée.

A suivre
Pastel sec sur toile (1)
Pastel sec sur toile (2)

http://www.artisanpastellier.com/index.php

Retour à ArtPoésie http://artpoesie.blogspot.com/

………………………………………………………………………………………………………………………………………………….

Pastel sec sur toile (2)

« A propos de ma méthode de travail :
la première des choses, c’est l’état d’esprit.
L’allégresse. »

Alexander Calder

Réponses aux interrogations de Catherine

8 janvier 2008

Je viens une nouvelle fois vers vous car j’ai deux autres tableaux à vous faire découvrir :
le premier « la corne du toro » a été fait récemment
le deuxième « la quadrilla » pastel bleu peint à mes débuts (qui remonte à un an et demie).

Merci des vos envois. La corne du taureau semble contenir l’abondance de vos œuvres à venir… Je conserve vos scans dans un dossier avec ceux d’autres internautes. A l’occasion j’en sélectionnerai, avec votre autorisation, pour illustration.

Je vais vous dire comment je procède : j’esquisse au crayon à mine le dessin que je souhaite reproduire, puis je travaille avec les pastels.

La mine de votre crayon : est-ce du graphite ?
La mine graphite serait contre-indiquée en sous-couche du pastel car elle est grasse. Les matériaux gras doivent en théorie couvrir des matériaux moins gras et non le contraire, car le gras remonte à la surface. Mais on peut aimer les effets du pastel un peu luisant et ceux du graphite transparaissant sous le pastel. Le graphite sous-jacent pouvant être renforcé des reflets argentés de rehauts au graphite.

Si vous utilisez un crayon de couleur, (pigments mêlés à de l’argile pure et de la cire) le pastel aura tendance à un peu patiner sur le trait, sauf s’il est léger, étant donné que la texture du tracé de la mine est lisse.

Un dessin systématique avant le passage de la couleur risque parfois de s’apparenter à du coloriage aux dépens de la peinture et la fascination qu’elle procure quand la forme surgit de la couleur.

Le bâtonnet de pastel peut servir de crayon de dessin.

Je fais un tableau en deux heures. En principe, je n’y reviens pas dessus, je ne le fignole pas.

La spontanéité s’accorde à la nature intrinsèque du pastel, peu associée à la surcharge. Le pastel ne tolère pas la superposition de plus de deux couches de poudre. Plus les couches sont légères plus y circule librement la lumière. Un pastel trop travaillé tourne rapidement à l’épreuve terne et figée.

Sur toile, l’étalement de la couleur est un peu bridé par le parcours noueux des fibres du textile. La couleur doit être passée de façon insistante pour être uniforme. Sur support papier, le bâtonnet de pastel glisse. De ce fait, l’étalement du pastel est plus aéré, et laisse parfois sourdre la tonalité du support de papier, en résonance à la couleur poudrée.

Difficile, en effet, de préciser des détails au pastel sur la toile. La rusticité de la toile n’autorise pas des tracés méticuleux.

Est-ce normal ou suis-je trop rapide ?

La normalité n’existe pas en art !

Comment procédez-vous ?

Je travaille de façon impulsive et à l’instinct. Le plus souvent sous forme de séries et si possible d’après modèle vivant.

Ensuite, j’installe les tableaux au salon et du canapé je peux plonger mon regard de l’un à l’autre et ainsi les voir constamment. Là je suis très critique et je demande l’avis de mon entourage.
J’ai du plaisir à les regarder.

L’artiste reste à l’intérieur de son œuvre, il ne lui est pas possible d’être à la fois à sa fenêtre et de se regarder passer dans la rue. On ne voit bien qu’avec le regard d’autrui ! Ainsi les échanges critiques autour de l’œuvre sont pur bonheur. Ils donnent du poids à l’œuvre et encouragent l’artiste.

L’observation contemplative de vos œuvres est probablement un moment de réconciliation avec vous-même et, à ce titre, un bienfait.

La satisfaction la plus jubilatoire réside cependant dans le corps à corps avec l’œuvre en gestation.

Et quand un ami désire me l’acheter, je suis toujours triste de m’en séparer.

Cette tristesse est peut-être la conséquence d’une peur de l’inconnu, la crainte inconsciente de se lancer dans l’exploration de nouvelles oeuvres ?

L’acquéreur de l’œuvre fait acte d’amour. Son acquisition est le compliment suprême… et silencieux ! L’œuvre va alors commencer à vivre dans un environnement où elle sera reconnue et aimée. Sinon un jour elle risque de s’étouffer, entassée sous d’autres œuvres, et d’amoindrir en l’artiste la motivation de peindre. « Il dépend de celui qui passe que je sois tombe ou trésor » Paul Valéry.

On se sépare de la production matérielle, mais jamais de son esprit. La preuve est que l’œuvre d’art appartient à son propriétaire mais les droits d’auteur appartiennent à l’artiste !

L’œuvre terminée est une dynamique pour le commencement d’une autre, et non une fin en soi. La plus passionnante des œuvres est celle qu’on est en train de faire…

A suivre

Pastel sec sur toile (1)

Pastel sec sur toile (3)

Retour à ArtPoésie http://artpoesie.blogspot.com/
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

Pastel sec sur toile (1)

Question de Catherine, 17 décembre 2007

Après avoir peint sur du papier Canson, je me lance dans la toile toujours avec le pastel. Est-ce possible de peindre avec le pastel sec sur la toile ? J’ai fait, tout de même, un essai et produit une marine qui me plait bien. Je vous envoie ma dernière création sur le thème de la tauromachie. Qu’en pensez-vous ?

Réponse

Oui, on peut peindre au pastel sec sur une toile mais il y a quelques inconvénients. Le pastel perdra un peu de son éclat sur la surface de la toile qui aura tendance à freiner la touche poudreuse. Par ailleurs, une fixation éventuelle à l’aide d’un fixatif sera moins efficace que sur un support papier.

Cependant la poudre de pastel n’est pas très stable sur le relief de la toile et, si le support est un peu poreux, de la poudre risque de s’infiltrer dans les interstices de la toile. Il serait, dans ce cas, nécessaire d’enduire la toile au préalable d’un enduit convenant au pastel.

Merci d’avoir eu la bonne idée d’envoyer une reproduction d’œuvre. Voir ci-dessous.

L’œuvre est très originale, et stylisée. Est-ce une mise en scène imaginaire ou vous êtes-vous inspirée d’une image ?

La composition est équilibrée malgré l’impact de la masse sombre qui sort du cadre. Les « cellules » brodées du gilet de lumières du toréador font écho à la géométrie de l’arrière-plan ainsi qu’un lien architecturé entre le sujet et le fond ; exemple : une pointe vive du gilet, prête à piquer le taureau, répond à l’angle rouge du fond…

La technique double du pastel (à la fois dessin et peinture) est utilisée de façon optimale. Des aplats de couleur contrastés pour le côté peinture et un graphisme prononcé côté dessin. La partie du support laissée à découvert, façon esquisse, donne un point de fuite à l’œuvre.

Vous n’avez pas eu à superposer des couches de pastel, ce qui est l’idéal. En effet, les superpositions peuvent vite tourner au barbouillage. Ainsi, vos couleurs conservent-elles toute leur fraîcheur.

Cette œuvre est très symbolique à la limite du politique ! Le côté un peu naïf du traitement, le calme qui en émane et la composition fusionnelle de l’homme et la bête en font la force.

A première vue, j’ai cru percevoir, à la place de la corne du taureau, la jambe du toréador vaincu sur un tombereau ! Puis de la végétation et des oiseaux dans les tracés chantants de la tête du taureau ! (Retour de la bête à la nature ?)
L’intensité d’une œuvre réside dans son taux d’imaginaire émotionnel et dans les interprétations qu’elle suscite ! Par exemple la tête du taureau peut être vue de face et de profil à la fois, avec l’œil gauche bien visible. Cette tête remplace celle du toréador et on se demande qui est le bourreau de qui, votre œuvre paraissant mettre tout le monde à égalité…

NB : Encadrement
Le passe-partout bicolore entre en concurrence avec les couleurs de l’œuvre. La fonction du passe-partout étant de mettre l’œuvre en valeur, mieux vaut qu’il soit de couleur neutre.

A suivre

Pastel sec sur toile (2)

Pastel sec sur toile (3)

Retour à ArtPoésie http://artpoesie.blogspot.com/

………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

Degas et le papier calque (5)

Ultimes pastels sur papier-calque

…..
Degas a pour habitude de signer ses œuvres lorsqu’elles quittent ses mains mais pas celle de les dater. C’est pourquoi beaucoup de pastels sont approximativement référencés. Néanmoins la période mentionnée aide à définir la nature du travail.

Dans la lignée du pastel « Femme à sa toilette », situé entre 1900 et 1905, présenté au chapitre Pastel sur papier-calque, voilà ci-dessous le pastel « Femme vue de dos, se séchant les cheveux » situé dans la période 1905-1910. On y retrouve le thème récurrent de la femme à sa toilette dans la salle de bain, le corps pudiquement replié, mais ici le traitement du pastel est spécifique.

En effet, cette œuvre, comme toutes les œuvres tardives de Degas, est sous influence de sa vue déficiente, ce qui incitera le peintre à renoncer peu à peu à la précision naturaliste pour ne retenir que l’intensité de l’émotion.

Les plus fulgurants pastels sur calque, notamment les nus, sont issus de cette période de fin de carrière où les touches de pastel zigzaguent à l’aventure, tout en stridences de lignes et couleurs.

Le pastel « Femme vue de dos, se séchant les cheveux » est un peu à la charnière des deux manières, comme un soupir entre la période des nus classiques atypiques, et celle des nus ultimes désormais troublés de vibrations.

Femme vue de dos, se séchant les cheveux, vers 1905-10
Pastel sur calque, 57 x 67 cm
Paris, collection privée

(Reproduction extraite du livre « Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery Publications London, 1996)

Observations :

Rien ne manque à cette œuvre, des rituels de Degas, ni le thème intime de la femme à sa toilette, ni le montage du support à l’aide d’ajouts de bandes variées de papier-calque.
Pourtant
Il ne reste que soupçon du nu et du décor tant de fois réitérés, libérés de tout artifice de mise en scène.
Ici, Degas, ayant à s’adapter au brouillard de sa vue se fait oublieux de perfectionnisme et de réalisme. On plonge ainsi dans la suggestion des couleurs et la simplification des formes.

La composition se résume aux lignes essentielles d’un nu émergeant d’une corolle. Abstraction du décor, traces de leitmotivs : tentures évoquées par d’obliques bandeaux de couleur, pudeur du nu presque disparu, enfoui dans un grand triangle musical joignant le sommet de la tête à la pointe du coude et à celle du reflet bleu ; au centre du triangle, se niche la pointe du sein gauche en résonance au triangle dessiné par le bras droit. Ellipses de formes si souvent caressées de pastel, le dos se déploie en éventail, la discrète chauffeuse, couplée à l’allusion d’une baignoire, semble prendre son envol. Des raccourcis synthétiques à la Picasso sont déjà inscrits dans ces va-et-vient géométriques !

Les couleurs sont exécutées en aplats, de façon hâtive. Il ne s’agit plus de définir des tonalités d’étoffes ou de chair mais plutôt d’irriguer de coulées d’ensoleillement ; et voici que l’ocre jaune pénètre jusque dans le corps en soleil fondant veiné de véloces hachures bleutées turquoise, et que la carnation du dos se fait peau de parchemin enluminée de quelque apparition à rayonnement mystique façon Odilon Redon !
Le nu est baigné d’un halo bleu, peut-être conséquent au travail insistant de décantation d’un nu préalable, dont on devine à partir de la tête, la trace modifiée le long de l’épaule et du bras.

De fines lignes bleu sombre semblent inciser l’étendue de neige de la serviette blanche et rappellent la passion de Degas pour la gravure. On les dirait comme tailladées pour recueillir le bleu de la couche de pastel inférieure… ! Ces lignes, sommaires, et comme griffonnées par endroit remplacent un travail de relief attentionné que le peintre aurait pu faire en d’autre temps. Maintenant Degas n’impose plus, il s’adapte à la vérité des choses.

Doux linge lacéré, pour la frustration de toutes les serviettes qui ont épongé la chair moite des femmes au sortir du bain ? Reflet d’émail bleu dans la baignoire ou gros poisson à tête bleue s’abreuvant à la source du mystère féminin, pour toute l’eau des ablutions à répétition ?

Les passages bruts de couleurs, ocres brun et jaune contrastés de bleu et blanc, et la bichromie chaud et froid de l’oeuvre, la font émerger au-delà de la scène intimiste évoquée. Il pourrait être question ici de bois, d’eau, de neige, de soleil, d’évasion ! Les contingences temporelles sont transfigurées par le regard intérieur du peintre.

Ainsi ce pastel est-il comme une transition méditative entre les nus antérieurs aux couleurs éruptives nées d’enchevêtrements de lignes aux tonalités osées, et les nus ultérieurs qui vont s’enrober d’éclairs pour mieux résister à la nuit qui tombe peu à peu du regard de l’artiste.

Cette quête de l’essentiel confère une dimension spirituelle à l’œuvre, icône stylisée et dorée, cubiste déjà, mais surtout intemporelle. Oeuvre visionnaire !

Retour à ArtPoésie http://artpoesie.blogspot.com/
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Degas et le papier-calque (4)


– Fixation du pastel sur papier-calque
– Montage du pastel sur papier-calque

…………
Fixation du pastel sur papier-calque

Depuis l’existence du pastel, y compris son âge d’or au 18° siècle, les pastellistes s’évertuent à rechercher un fixatif idéal. Degas se jettera à l’eau, ce qui est le cas de le dire, puisqu’il fera des expériences de fixation en travaillant le pastel humecté à la brosse ou en aspergeant par endroit l’œuvre au pastel d’eau bouillante ! Mais l’eau n’a jamais vraiment fixé le pastel !

Les expérimentations pour une bonne adhérence du pastel au support, Degas les multipliera. Par exemple pour faire pénétrer la couleur dans le support, il n’hésite pas à l’occasion à rainurer chaque couche de pastel pour que la poudre irradie dans les interstices. Il va même jusqu’à brûler la surface du pastel pour mieux la lier à la couche inférieure. Les brûlures parviennent à faire de beaux effets sur les couleurs de certains pastels mais en revanche froissent le support et y font facilement des trous.

Refusant d’employer des adhésifs du commerce, Degas confectionne ses propres fixatifs. Il utilise notamment un fixatif à base de caséine qui semble assez efficace (la caséine du lait est utilisée comme liant de peinture) ou un autre à base de colle de poisson. (colle souple utilisée en marqueterie) Il fait aussi des mélanges, par exemple ajout de résine à la caséine. Mais le fixatif le plus satisfaisant est à base de résine. La composition de ce produit, qui lui est confiée par un ami, Luigi Chialiva, reste encore secrète de nos jours… Toute information à ce sujet est ici bienvenue !

Le fixatif est le matériau indispensable à l’alchimie des fusains et pastels sur calque, support lisse et de surcroît fragile. Degas utilise le fixatif de façon intermittente pour isoler les couches de pastel, superposées et juxtaposées, et ainsi prévenir le barbouillage inhérent aux mélange des couleurs.

De plus, une surface fixée lui est nécessaire pour retravailler par-dessus une œuvre ancienne, selon son habitude. Chaque couche fixée forme une surface rêche, propice à l’adhérence de la nouvelle couche de pastel.

Degas commence l’œuvre par un dessin au fusain qui servira de base au pastel. Le fusain sur calque est fixé pour stabiliser la poudre cendreuse. Un dessin au fusain non fixé se dégrade rapidement s’il est manipulé. En tant que matrice des pastels de Degas, le fusain est la charpente de l’œuvre et se doit d’être stable car on en retrouvera les lignes dans le pastel définitif et des traces dans la texture des ombres et des couleurs.

Par ailleurs, Degas fait usage du fixatif comme d’un médium, c’est à dire un liant pour obtenir des matières et des effets nouveaux.
Sous fixatif, les couches de pastel prennent une sorte de patine, comme si une vague de couleur liée par le liquide résineux du fixatif venait recouvrir une autre vague. Chaque fine pellicule de pigments fixés devient translucide comme l’ambre et, en superposition, laisse transparaître la mémoire de la couche inférieure, laissant deviner la vie sous-jacente.

Degas vernit l’avant dernière couche du dessin avec un fixatif puis termine par une couche de pastel non fixée pour conserver la fleur du pastel. Le poudroiement ultime adhère bien à la couche du dessous devenue un peu rugueuse sous l’effet de la fixation.

Des contrastes de matière sont obtenus avec le pastel non fixé conservant sa matité naturelle, et le pastel fixé d’un jet vif par endroit pour provoquer une zone brillante.
Le fixatif affine la couche de pastel, donne un lustre aux chatoyantes zébrures de pastel des couches superposées, elles-mêmes bénéficiant de la surface translucide du calque, tout ce processus rappelle probablement à Degas les glacis qu’il admire tant dans la peinture à l’huile.

Toutefois, les supports des œuvres aux multiples couches se sont flétris. Les effets conjugués de la colle utilisée au montage, et du fixatif ou des fixatifs de qualité différente, recouvrant la même œuvre au pastel, ont à la longue assombri les tonalités des pastels sur calque et altéré bien des couleurs, éclatantes à l’origine.

Mais si les pastels se sont assombris dans le temps, ils perpétuent en quelque sorte le tempérament angoissé de Degas ! Quant à la nature intrinsèque de l’art, n’est-elle pas de se dégrader, tout comme la vie ?

Montage du pastel sur papier-calque

L’œuvre sur calque, fusain rehaussé de pastel ou fusain complètement pastellé, est montée sur un support rigide. Le calque principal et les ajouts de papier-calque sont collés ensemble sur le support.

Un colleur professionnel assiste quelquefois Degas. L’opération est délicate et des bulles d’air peuvent rester coincées sous le calque.

Là aussi, tout comme pour le fixatif, il est difficile de préciser la qualité de la colle utilisée par Degas. Hypothèses : colles de poisson, de peau de lapin, colle à la caséine, résine ?

Pour compenser l’altération du calque à la lumière, le calque de l’époque ayant tendance à jaunir et à foncer, le pastel est d’abord collé sur papier blanc pour donner de l’éclat, lui-même fixé sur carton épais ou sur panneau.

Le montage sous adhésif est une façon non seulement d’aplanir et de consolider le calque mais aussi de faire bénéficier les pigments, humectés par l’encollage, d’un supplément de fixation.

Retour à ArtPoésie http://artpoesie.blogspot.com/

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Degas et le papier-calque (3)

– Oeuvres en série sur papier-calque
– Ajouts de papier-calque

…………………

Oeuvres en série sur papier-calque

Décalque, dessin et progressive intervention de la couleur au pastel, 5 à 6 œuvres, disposées sur des chevalets peuvent être ainsi traitées en séquence par Degas.

Répliques, variations inversées, travaux anciens retravaillés, une véritable dynamique s’installe, générant des suites de compositions d’inspiration identique.
Par exemple (voir les illustrations ci-dessous) un groupe de nus au fusain, servira de matrice à des séries de danseuses en tutus. Chaque œuvre étant renouvelée sous l’effet de tout un arc-en- ciel de couleurs, alliées à des modifications de forme et de format. A noter les grandes dimensions des formats dans l’ensemble.

Groupe de danseuses vers 1897-1901
Fusain sur papier-calque
77,2 x 63,2 cm
Little Rock, Arkansas Arts Center

Groupe de danseuses vers 1897-1901
Pastel sur papier-calque
73,5 x 61 cm
Basel, Galerie Beyeler

Danseuses en vert et jaune vers 1899-1904
98,8 x 71,5 cm
New York, Solomon R. Guggenheim Museum,
Thannhauser Collection

(Reproductions extraites du livre « Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery Publications London, 1996)

Outre les enseignements que la dynamique des œuvres en série engendre, ce rythme de travail soutenu est devenu nécessaire à Degas pour gagner sa vie, d’où le grand nombre d’oeuvres sur un thème à succès, les danseuses, « mes articles » dit-t-il, ainsi que la femme nue à sa toilette. Le calque sera un auxiliaire précieux pour la propulsion de ses oeuvres.
Les pastels sur le thème des danseuses en particulier sont tellement retravaillés par décalque ou contre-épreuve (dessin inversé obtenu sous pression) que les personnages deviennent l’archétype de la vision de Degas et ne sont plus perpétués par des études d’après modèle vivant.

Ajouts de papier-calque

Degas n’étant jamais satisfait de son œuvre, il lui arrive fréquemment, outre de la retravailler au pastel, d’en varier le montage.
Par ailleurs, le relevé rituel de dessins de personnages provenant d’œuvres antérieures, l’incite à modifier le format pour créer de nouvelles compositions.

Il modifie la superficie d’une composition sur papier-calque en ajoutant des bandes de papier-calque aux formes et aux formats variés.

Nombre d’œuvres sont agrandies de la sorte par ajouts successifs. Certaines œuvres sont montées carrément façon patchwork !

En retour, certaines peuvent subir des réductions de format !

Les supports papier, reçoivent des manipulations similaires, le principe de Degas étant de partir d’une forme simple pour arriver par extension à de grandes compositions.

Le calque de par sa facilité d’emploi, son pouvoir de multiplication, sa présentation disponible en rouleau, favorisant les grands formats, stimulera la vision de Degas.

Voir ci-dessous « Petit déjeuner après le bain », un exemple d’agrandissement d’une œuvre au pastel sur calque.

Petit déjeuner après le bain, vers 1893-8
Pastel sur papier-calque
119,5 x 105,5 cm
Winterthur, Kunstmuseum

(Reproduction extraite du livre « Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery Publications London, 1996).

Observations

La composition est une reprise du pastel « Le petit déjeuner à la sortie du bain » examiné au paragraphe Pastel sur papier-calque
Variante : le nu est assis.
Le format, de très grande dimension, est presque carré et monté à l’aide de bandes de papier-calque juxtaposées.

On pourrait répertorier dans cette œuvre une quinzaine d’ajouts de morceaux de papier-calque perceptibles à l’œil nu. Certains ajouts sont nettement visibles à la jointure quand le papier a travaillé. D’autres sont habilement masqués par le fusain ou la couleur du pastel.
Par ailleurs, plus on scrute l’œuvre, plus surgissent des ajouts insoupçonnés, comme par exemple un triangle dans le coin droit en bas !

Voici les ajouts discernables, déclinés de bas en haut :

– Une bande horizontale dont la largeur est comprise entre la base du tableau et l’assise du nu, se déroule comme une frise d’étoffes : un bout du drap de bain blanc étalé par terre, le bas de la robe de chambre et le bas du vêtement de la servante.

– Une autre bande, très large s’étale au-dessus, depuis l’assise du nu jusqu’en haut d’un meuble, ou peut-être d’un coussin, vert ? Cette portion de papier-calque est un assemblage de 6 à 7 morceaux de calque de largeurs variées. Le pastel du nu semble avoir été peint, puis découpé serré comme pour contenir dans un carré qui serait délimité par l’assise de la cuisse gauche et le coude saillant du bras droit : une vision de sculpteur ! Puis le pastel a été collé, possiblement sur un support de carton blanc. La tonalité du pastel situé dans la partie du calque comprise entre l’assise du nu et le poignet droit, paraît voilée, comme si le support était lui-même recouvert d’un morceau de calque vierge. Peut-être cet effet écran de buée est-il dû au traitement du nu : flou de l’estompage rehaussé d’une fine pluie de rayures arc-en-ciel, le tout fondu sous le jet du fixatif.

– On discerne une autre bande horizontale, comprise entre le haut du coussin et le sommet de la tête de la servante. Ici est représentée la tapisserie qui se termine sur la gauche par des ajouts hétéroclites, pastellés de repentirs. Enfin une bande moins large et non pastellée dans le haut de l’œuvre, prolonge la tapisserie pour libérer l’espace au-dessus de la servante, à moins qu’il n’y ait pas de calque collé sur cette partie et que ce que l’on voit corresponde au support de carton qui sert de base au montage des calques…

– Tous ces ajouts horizontaux semblent coupés verticalement dans le prolongement de la serviette blanche par une mosaïque de papier-calque, sur toute la hauteur du côté gauche de l’œuvre. Ces morceaux de calque irréguliers sont assemblés pour prolonger l’espace devant le nu. Mais l’écart n’étant pas jugé encore suffisant, Degas ajoutera une étroite lanière de calque tout au long du liseré gauche de l’oeuvre. D’autres lanières, parfois incrustées de lamelles de calque, vont également parachever les dimensions des bordures à droite et en bas de l’œuvre.

Il semblerait que le nu au pastel, de facture travaillée, brodé de fines hachures aux couleurs tendres, sur le canevas au fusain, soit une œuvre antérieure récupérée, et l’élément de base à partir duquel tout s’ordonne pour en agrandir le format et composer une œuvre nouvelle. A commencer par un étroit ajout de papier-calque pour arrondir le haut de la cuisse dont un morceau avait été sacrifié à la découpe ! Le bras gauche du nu ainsi que la chevelure paraîtraient avoir été ajoutés au nu initial, dont le calque est coupé au niveau du genou.

Le dessin du personnage de la servante est sommairement esquissé au fusain, rehaussé de rapides aplats de pastel jaune et blanc. Les dessins de la robe de chambre et de la tasse sont traités de façon un peu moins expéditive. Ces traitements contrastent cependant avec le raffinement du pastel du nu, si bien que la servante, et son bras surgissant de façon quelque peu mécanique, semblent appartenir à un autre monde pictural que celui du nu. Le pastel développe ici conjointement son pouvoir spécifique de technique et de dessin et de peinture…

En tant que lien entre pastel à grands traits et pastel travaillé, voici la masse drapée de la robe de chambre chamarrée présentée par la servante. Son aspect varie en fonction de la qualité des morceaux de calque sur lesquels elle est façonnée.

– Dans le bandeau du bas, le dessin vif aux arabesques rousses, apaisées de bleu, sur le fond du calque effleuré d’ocre jaune, conserve la luminosité d’une esquisse car il est exécuté sur du papier-calque intact. Il en sera de même pour les ajouts compris entre le haut de la tasse et le haut du coussin.

– Dans le large bandeau suivant, de l’assise du nu au poignet droit, l’aspect de la robe se trouble auprès du nu. Sous les motifs jaunes et roux du tissu, on y devine, en sous-couche, le pastel clair du prolongement du corps : la chute des reins, avec un faisceau de lignes arachnéennes rappelant les fines zébrures de la chair du nu. Sur ce substrat sont peints en technique humide, pour une bonne adhérence des pigments, les rehauts bleutés des motifs. Ces couches de pigments superposées et fixées entre elles, acquièrent la texture résineuse de l’ambre et les motifs pâles de l’étoffe surnagent comme des reflets sur l’eau profonde.
Un semis de pointillés à la gouache bleutée, essaie de masquer la main droite du nu, saturée de pastel. Mais ces détails attirent plutôt l’attention sur le côté bourbeux du pastel non abouti.

– Enfin, la robe se termine par un arrondi directement tracé au fusain sur le support du calque de la tapisserie. Degas y laisse jouer les clartés roses du fond de la tapisserie ainsi que les motifs bleutés tandis que les touches de vert bronze sont habilement mêlées aux traits du fusain, matériau qui exacerbe la beauté des pigments verts.

Cette volumineuse robe d’intérieur, symbolique de l’atelier vase-clos privilégié par Degas, coincée entre deux tentations féminines, prend soudain la forme d’une brave bête, (projection de Degas ?) peut-être un peu lasse de peindre le nu à perpétuité, toisant le spectateur de son oeil de cyclope, tendrement consolée sur la poitrine de la servante, et qui serait en train de humer le chocolat réconfortant ? Même si cette interprétation est un peu surréaliste, il est vrai que Degas n’hésitait pas à mettre de l’humour, parfois outrancier, dans certaines œuvres et que son inconscient aurait pu ici le trahir !

A suivre

Degas et le papier-calque : Introduction

(1)
Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque
Contre-épreuve de dessin au fusain
(2)
Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel
Pastel sur papier-calque
(3)
Oeuvres en série sur papier-calque
Ajouts de papier-calque
(4)
Fixation du pastel sur papier-calque
Montage du pastel sur papier-calque
(5)
Ultimes pastels sur papier-calque

Retour à ArtPoésie http://artpoesie.blogspot.com/

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Degas et le papier-calque (2)

– Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel
– Pastel sur papier-calque
…………………………

Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel

Remise à jour de l’article prochainement


Entrée des croisés à Constantinople de Eugène Delacroix, 1840
Peinture à l’huile
410 x 498 cm
Musée du Louvre


(1)
Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque
Contre-épreuve de dessin au fusain
(2)
Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel
Pastel sur papier-calque
(3)
Oeuvres en série sur papier-calque
Ajouts de papier-calque
(4)
Fixation du pastel sur papier-calque
Montage du pastel sur papier-calque
( 5)
Ultimes pastels sur papier-calque

Retour à ArtPoésie http://artpoesie.blogspot.com/

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Degas et le papier-calque (1)

– Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque
– Contre-épreuve de dessin au fusain

………………………….

Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque

Le papier-calque est un matériau que Degas utilise dans sa jeunesse, de façon traditionnelle pour des dessins d’atelier, relevés de routine, repérages, collages, à l’instar de ses contemporains, Puvis de Chavannes ou Gustave Moreau.

Par ailleurs, Degas, grand admirateur de Ingres, se souvient probablement des dessins de travail du maître, la transcription de figures existantes relevées sur calque pour des mises au point d’épure, nus ou portraits, avant de les introduire dans la composition du tableau.

En fin de carrière, vers 1890, Degas choisit le papier-calque comme matériau de prédilection. Et, s’il apprécie le calque en tant qu’outil pour sa souplesse d’emploi, sa facilité à accueillir un dessin, le dupliquer, le transférer, obtenir une forme inversée…, il va faire de ce matériau une fin en soi.

Degas commence toujours par un dessin au trait, généralement au fusain.

Le bâtonnet de fusain se délite tout naturellement lorsqu’il frotte un support de papier dessin présentant une surface texturée, et beaucoup de poussière s’échappe.
En revanche, le bâtonnet maintient sa compacité en glissant sur la surface lisse du papier-calque. Par conséquent, le trait de fusain reste net, précis et nourri. De la tonalité la plus noire à la ligne la plus fine, la plus pâle, c’est un plaisir de ressentir que le calque retranscrit le moindre souffle de la sensibilité ! Les aplats, de même, conservent intacte la matière impulsée par l’artiste, dont la trace perceptible du cheminement gestuel.
Il s’agit, pour conserver les dessins, de les fixer, au risque de soulever un peu de poussière de fusain si l’adhésif est manipulé trop vivement.

Le fusain est un matériau versatile, parfaitement adapté à la complexité de l’art de Degas. Une fois fixé, le trait au fusain est stabilisé. Voilà qui favorisera sa remontée en surface des couches de pastel qui viendront le couvrir.

Sinon, le trait au fusain est provisoire et vite effacé. Une chance pour Degas, artiste perfectionniste, toujours enclin au repentir.

La matière du fusain est dense et crépite comme le bois brûlé ; de quoi réjouir Degas, passionné de dessin, jusqu’à souhaiter qu’on inscrive sur sa tombe « Il aimait le dessin. »

Estompé, le fusain devient fluide, vaporeux. En tant que matériau évanescent, travaillé avec d’autres matériaux de dessin (pastel, graphite, aquarelle etc.) le pastel se laisse volontiers impressionner ! Degas en fera la base de ses pastels.

Le fusain est l’assise des oeuvres de Degas. De la forme la plus simple à la composition la plus élaborée, Degas constitue une réserve de dessins au fusain sur calque dans laquelle il puise pour composer de nouvelles oeuvres.

Il a coutume aussi de copier ses compositions sur le calque, afin de les reporter sur d’autres. Il fait glisser le dessin sur calque par-dessus une œuvre réalisée pour en juger de l’équilibre, en multiplier les figures, en assembler les sujets différemment…

Son dessin au fusain est mis en volume à l’aide de hachures et d’un modelé à l’estompe ou au doigt. Ainsi, obtient-il une surface monochrome qui pourra être par la suite éventuellement rehaussée de pastel ou entièrement peinte au pastel.
Degas signe les dessins au fusain sur calque qu’il considère comme œuvres à part entière.

A gauche, dessin A
Le petit déjeuner après le bain, vers 1880
Fusain sur papier-calque
109,5 x 80,6 cm
Musée des beaux-arts du Canada (18770)

A droite, dessin B
Etude pour la servante dans Le petit déjeuner après le bain
Fusain sur papier-calque
110 x 60 cm
Lefèvre Gallery, Londres

(Reproductions extraites de l’ouvrage « Les pastels de Degas » par Anne F. Maheux, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, 1988)

Observations :
Les deux fusains sont signés


Le dessin B semblerait être une copie du dessin A. Degas trace habituellement le nouveau trait de la composition à l’extérieur du premier. C’est pourquoi les dimensions du dessin B sont plus grandes

Caractéristiques du dessin B : le personnage est nu, alors qu’il est vêtu dans le dessin A, la naissance du ventre et des cuisses étant discrètement évoquée sous la robe. Finition du dessin, vigueur du trait

Ces personnages serviront de modèle au portrait de servante dans les deux exemples de pastels à la composition presque identique « Le petit déjeuner à la sortie du bain » reproduits aux paragraphes Pastel sur papier-calque et Ajouts de papier-calque

Contre-épreuve de dessin au fusain

A partir de ses fusains sur calque, Degas peut produire également des contre-épreuves ou dessins inversés. (dessins miroir)

Par exemple, le calque monté sur panneau est recouvert d’une feuille de papier ou de papier-calque, puis l’ensemble, aplani. Ainsi la contre-épreuve récupère un peu de la substance du fusain ; elle peut être travaillée par la suite au pastel. Dans cette opération si le dessin matrice perd des particules de poudre, en revanche des particules résistantes se sont incrustées dans ses fibres.

Variante de contre-épreuve : Degas pose une feuille de papier humidifié sur le calque au fusain et passe le tout sous presse. Le transfert de l’image inversée est pâle.

Degas pousse même l’expérience jusqu’à humidifier le calque au fusain, y déposer une feuille de papier dessus puis presser le tout. Sous l’effet de l’humidité, le dessin original s’enfouit dans le calque chiffonné et présente des masses irrégulières grumeleuses qui sont d’une certaine façon ainsi fixées.

Degas a une longue expérience dans sa jeunesse de la gravure à l’eau forte et de la lithographie. Au terme de sa carrière, on pourrait penser qu’il simule les lourdes manipulations des techniques de la gravure avec le matériau immatériel du calque ; comme un transfert au royaume de la spiritualité, quand ses forces physiques commencent à décliner ?

A gauche, dessin A
2 danseuses au repos vers 1895-1903
Fusain et pastel sur papier-calque 57,2 x 44,8 cm
Philadelphia Museum of art
The Samuel S. White III and Vera White Collection (II, 294)

A droite, dessin B
Danseuse au repos vers 1895-1903
Fusain et pastel sur papier-calque
65 x 43 cm
Portugal, Francisco da Cruz Martins (L. 1331 bis)

(Reproductions extraites du livre « Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery Publications, London, 1996)

Observations :
La contre-épreuve (dessin B) a récupéré peu de poudre du fusain original, (dessin A) elle est donc plus claire et moins précise que l’original. Elle fait partie du sort des épreuves que Degas ne retravaille pas

La contre-épreuve restitue, sur la délicate fragilité du calque, la mystérieuse apparition de l’œuvre, toute de tendresse, plus effleurée qu’imprimée, et ouvre la voie à l’imaginaire que le dessin non fini sollicite de l’infini !

………………………

A suivre

Degas et le papier-calque : Introduction

(1)
Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque
Contre-épreuve de dessin au fusain
(2)
Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel
Pastel sur papier-calque
(3)
Oeuvres en série sur papier-calque
Ajouts de papier-calque
(4)
Fixation du pastel sur papier-calque
Montage du pastel sur papier-calque
(5)
Ultimes pastels sur papier-calque



Retour à ArtPoésie http://artpoesie.blogspot.com/

………………………………………………………………………………………………………………………………………………….

Degas et le papier-calque : introduction



Question de Jacqueline, 11 janvier 2007

j’ai visité votre site il y a quelques temps et je me souvenais de cette phrase : « Degas travaillait beaucoup par fixation successive de couches, .…. ce qui lui permettait par exemple d’utiliser le papier calque comme support »
Hélas je ne la retrouve plus sur votre site, pouvez-vous m’en dire plus sur la technique du papier calque, cela m’intrigue, sachant que pour le pastel, il est nécessaire d’avoir un support qui accroche.

En fin de carrière, à partir des années 1890, Degas se passionne pour le papier-calque en tant que matériau d’expérimentation et support pour le fusain et le pastel.

Voici le plan d’une approche des créations sur calque de Degas :

Degas et le papier-calque (1)

BIBLIOGRAPHIE

« Les pastels de Degas » par Anne F. Maheux, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, 1988

« Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery publications, London in association with the Art Institute of Chicago, distributed by Yale University Press, 1996

« Degas, les Nus » de Richard Thomson chez Nathan, 1988


Retour à ArtPoésie http://artpoesie.blogspot.com/

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………