Archives pour la catégorie FAQ sur l’art du pastel

Pastel d’Odilon Redon « La naissance de Vénus ». Interaction du fond et du sujet en peinture (2)

 

Observation du pastel d’Odilon Redon « La naissance de Vénus »

REDON_VENUS_braceletLa naissance de Vénus, Pastel, Odilon Redon, vers 1912, 84,4 x 65 cm, Musée du Petit Palais, Paris

Reproduction scannée dans l’album Redon » chez Taschen. 

Le pastel d’Odilon Redon, La naissance de Vénus, est construit en trois phases. Le fond, de couleur froide, le premier plan de couleur chaude et le sujet, soit Vénus qui fait le liant entre les deux volumes de cette planète. Est-ce la mer qui se profile tel un ciel en arc de cercle, moutonné de gerbes turquoise et bleu ou serait-ce le ciel ? Est-ce une mer intérieure qui se réfléchit dans la fosse noire exacerbant les bleuités vert sombre de chimères animales et botaniques ? Les imprécisions des oeuvres d’Odilon Redon cultivent le mystère. Les faisceaux de hachures qui font la texture de l’oeuvre, tracés d’une main indolente mais déterminée, nous aspirent dans l’alvéole du rêve. Au centre de l’oeuvre un rempart de crêtes ensoleillées encercle un promontoire encombré. Vénus en surgit comme d’un magma. Elle ne naît pas de l’onde, offerte en lumière sur une frêle coquille métaphorique à l’instar de la déesse de Botticelli, mais d’un récif périlleux, informe, voué aux gémonies. L’arc de cercle noir en bas de l’oeuvre semble être le premier jet du dessin d’une barque !

Vue de trois quart, nue, debout dans une anfractuosité, sorte de vasque, d’embarcation qui prend l’eau, de menhir renversé, ne sachant pas où prendre pied, instable, Vénus se contorsionne de pudeur. Les contours de son corps sont dessinés sur une réserve du support préservée de pigments. La couleur ocre jaune du support papier donne sa tonalité au corps, juste rehaussé dans la tonalité. Tête et bras ont subi un estompage fantomatique à partir de la poudre des nuées aquatiques. La déesse a la tête dans les nuages de vagues, son diadème est éclairé. Cette grande économie de moyens la projette toute lisse et légère au premier plan. L’ocre est visible à travers les couches de pastel aérées, non superposées, en un fourmillement sous-jacent de grains de sable chauds.

Rupture de style, une grande tache plâtrée de blanc jusqu’à la trame du support et qui fait penser à un animal en fuite, nous met soudain devant la dure réalité d’une lumière de réveil brutal. La naissance de Vénus a l’étrangeté onirique des oeuvres d’Odilon Redon.

 

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Pastel piqué. Des piqures de moisissures se sont invitées avec le temps, repérables surtout en haut de l’oeuvre. Les doigts du pastelliste travaillant la poudre, en contact direct avec les pigments et le support, laissent des traces dont se réjouit parfois l’humidité ! 

Interaction du fond et du sujet en peinture

Question d’un internaute :

 Lors de l’exécution d’un pastel faut-il : commencer par le fond (par exemple une montagne) puis passer par-dessus pour peindre (par exemple une biche) et doit-on “fixer ” le fond auparavant ou bien faire le premier plan et “mettre autour le fond”?

Réponse :

La tradition dans la plupart des techniques de peinture, dont le pastel, recommande de commencer l’œuvre par l’arrière-plan, c’est à dire le fond. C’est comme dans la vie, ce qui existe en premier induit et renforce ce qui vient par la suite ; les fondations soutiennent la maison !

Traiter d’abord le fond – ne pas fixer- chemin faisant apportera de la matière dont va bénéficier la définition du sujet ou premier plan. Cette pratique est une mise en oeuvre réfléchie pour faire surgir le sujet de façon accompagnée comme une naissance. C’est une exploration dans le miroir réfléchissant des pigments de pastel.

Si on commence à peindre « le premier plan » (ou le sujet) puis à traiter « autour le fond », on réalise plus un acte de juxtaposition et coloriage que d’immersion picturale. Mais pourquoi cette expression spontanée serait-elle à exclure ? Les peintures des enfants ne sont-elles pas les oeuvres les plus sensibles ? On peut également ne s’intéresser qu’au sujet ou inversement qu’au fond ; on peut évidemment envisager tout ce que l’on veut !

Tout est faisable en peinture, et il y a autant de façons de s’exprimer que d’artistes. L’art c’est la vie de l’imaginaire donc de toutes les libertés.  Il n’y a pas de règles d’architecture pour un château dans les nuages. G.K. Chesterton

Ci-dessous, quelques exemples de réalisations au pastel :

. Degas fixait des couches successives de pastel entre elles, parfois en grand nombre ! Le pastel une fois fixé chute de tonalité, peut prendre un aspect translucide de parchemin, et sa surface devenir légèrement rugueuse. Ainsi traitées, les superpositions entrent en résonance avec les ressources accumulées depuis la première couche et procurent chatoiement et profondeur à l’œuvre. La dernière couche de pastel n’étant pas fixée pour la conservation de sa « fleur ».

. Estomper légèrement, d’un doigt aérien, du pastel essaimé sur un support papier non travaillé, en couche fine, de façon que le pastel qui sera déposé par dessus puisse accrocher sans déraper ! La fugace luminosité ainsi obtenue diffusera sur le sujet. Par exemple une montagne dessinée sur un ciel éthéré semblera flotter à l’horizon.

. Réserver des pans du support papier coloré ou blanc, non pastellés. En fin de travail si ces trouées à l’état brut sont couvertes de pastel elles apparaîtront sous forme de lumière pure et s’imposeront tout naturellement au premier plan.

. Toute œuvre sur papier dont on est insatisfait, dessin, pastel, peinture à l’eau… est un fond incitatif à la création d’une œuvre nouvelle. Ces plages stimulent d’autant l’imagination que l’on ne craint pas de les violenter, ce qui libère le geste. Degas a exécuté des pastels aux couleurs ruisselantes de lumière à partir de ses monotypes en noir et blanc.

Dès que l’on commence à peindre, c’est souvent l’instant de grâce où, chargé de l’immanence de quelque chose de fort à délivrer, on est sous domination de l’intuition, et on oublie tout savoir ; il est alors moins question de composition de l’œuvre que d’orchestration d’un dépassement de soi !

Quelques soient ses moyens de construction, l’oeuvre est avant tout une interrogation de « fond » … de l’être !

 

A suivre :
– Observation d’après deux reproductions de pastels d’Odilon Redon
– Observation d’après les reproductions d’une aquarelle de Delacroix et d’une huile de Miró

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Commentaires sur un pastel de Liliane

                                                    

La jungle, pastel de Liliane

Liliane :

J’ai ressorti un ancien pastel que j’avais créé pour une expo sur le thème de la jungle, je ne le trouvais pas formidable, mais je viens de voir sur le magazine « Match » un article sur « chercheurs d’art » : il y a un peintre qui a fait un tableau sur la jungle c’est Mostyn Owen 2009 voir : http://www.polad-hardouin.com/
Son tableau est « tagereste » 0rlando. Cela m’a fait me souvenir que j’avais fait ce petit pastel sur la jungle et qu’après tout, il n’était peut-être pas si mal. Il est réalisé sur un papier Canson vert foncé 24 x 32

Marie-Lydie Joffre :

Comme une illustration de livre pour enfant…

Pastel plein de gaieté vert aquarium, traversée d’une rivière en diagonale ponctuée de cinq bouquets de fruits rouges, et voilà que les saveurs de l’enfance enfouies comme oeufs de Pâques au jardin des mystères, remontent aussitôt à la surface de l’eau.

La souplesse, la tendresse, le velouté des textures du pastel s’exercent ici. Très peu de poudre semée. Regardez le pastel respirer lorsque la couleur vert olive du support papier transparaît aux endroits réservés. Il faut si peu de pulpeuse poudre pour dire beaucoup !

La couleur estompée, quant à elle, joue des sonorités moites de la poudre transformée sous la glissade des doigts, et contraste avec les tonalités vivaces du pigment non altéré.

A droite, dans la partie ombrée, des réseaux au pastel noir laissent deviner la couleur estompée du fond à travers maille. Un frottis délicat d’arabesques vert tendre auréolé d’un reflet bleu d’eau, joue les complémentaires avec une traînée de terre rose enfouie dans le noir laquelle engendre un rameau de fruits rouge épaissi de clarté. Toutes teintes d’autant plus lumineuses qu’elles sont ceinturées de sombre. Une lumière de sous-bois posée sur le fond délicatement estompé, semble tracée aux rayons arachnéens sortis de la tranche du bâtonnet de pastel.

Contrastes de matière gourmands. Touches fraîches rouge fraise, rose bonbon, rouge orangé, tentations que ces baies essaimées dans les coins sombres ! Pendue à l’arbre, une grappe fruitée, sorte d’hippocampe vermillon, frottée en épaisseur fait penser aux fonds marins. Une pointe de jaune soufre prend feu auprès de la sombre bûche qui prend l’eau. Mystère que cette bûche dont on aurait taillé sommairement une sorte de Christ qui semble reposer en lévitation sur l’eau ! Une plante mauve carnivore s’apprête à se désaltérer à la rivière, sous le regard du petit oiseau haut perché dans les méandres d’enroulements habités de figures totémiques ; et l’évocation de la barque déjà propulsée vers d’autres contrées ouvre au rêve le confinement de jungle.

Exploration du pastel dans une gamme ludique de tracés, de stries massives en volutes dansantes, d’aplats feutrés de secrets pollens en envolées de feuilles, point de fuite de la subtile poudre (angle en haut à gauche)

liliane.peint@orange.fr

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Questions d’artistes sur le pastel, réponses de Marie-Lydie Joffre

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Publication d’une sélection de réponses de Marie-Lydie Joffre dans le magazine papier Dessins & Peintures n° 45, novembre-décembre 2009, dans le cadre du dossier « Tout ce que vous devez savoir sur le pastel », chapitre « Questions d’artistes, réponses pratiques »

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Peut-on réaliser une oeuvre aux crayons pastel uniquement ?


Réponses aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)

7 – Peut-on réaliser une oeuvre aux crayons pastel uniquement ?

On peut réaliser une œuvre avec tout matériau !
C’est la manière dont l’artiste communique avec le matériau, comme l’écrivain avec les mots, qui fonde l’oeuvre !
Plus le matériau est sommaire ou paraît contre-indiqué, plus l’œuvre est potentiellement inventive face au défi ! Un matériau trop abouti pourrait, à la limite, inhiber l’artiste, par exemple une qualité de peinture à l’huile extra fine !

Les limites techniques du crayon pastel sont : texture plate, faible contraste, coloris ternes. Ainsi ce crayon évoque-t-il des sonorités sourdes, le calme, la discrétion et il y a là, de quoi bâtir tout un monde et au-delà !
A la façon de tout crayon, le crayon pastel se révèle plus efficient dans le graphisme, le trait de dessin qu’en aplat. La superposition d’aplats se trouble rapidement car l’opacité du matériau et ses couleurs non miscibles, font chuter les tonalités. En revanche deux superpositions légères font bon alliage de tonalités tendres et feutrées. Un rose et un gris subtilement superposés, par exemple, peuvent prendre l’aspect grenu d’un tissu de tweed ; ceci grâce aux mailles de la matière poreuse du crayon pastel qui fait remonter la clarté du support à travers la couleur.
En monochromie ou bichromie, le crayon pastel décliné sous toutes ses facettes, traits, superposition de traits ou d’aplats ou estompe, offre la douceur d’une texture laineuse.

Sur un grand format, le crayon exigera de la minutie pour couvrir la surface aux petits points, pour ainsi dire ! Travail qui pourrait être révélateur de constance et faire prendre conscience à l’artiste des potentialités de son tempérament, plus réfléchi que spontané, plus dessinateur que peintre, coloriste ou valoriste…

Les œuvres réalisées au crayon pastel apprécient l’alliage d’autres matériaux.
L’apport de techniques mixtes enrichit le crayon pastel au niveau des contrastes. Les crayons Conté fusain, sépia, sanguine produisent de chaleureuses vibrations, les crayons Conté pierre noire (à base de schiste) et carbone modulent et approfondissent les tons. Penser aussi à la gamme des craies « carrés Conté » dont les coloris sont plus intenses et liants que ceux des crayons, et qui permettent des traits précis et une manipulation à fleur de peau, puisque les bâtonnets ne sont pas gainés.

Ne pas oublier l’apport du crayon graphite. Surimposé au crayon pastel, il structure d’un trait argenté, modulé du gris clair au gris très foncé, le côté parfois fade du crayon pastel tout en accrochant bien à sa surface. Le graphite a une bonne stabilité du fait de sa texture quelque peu grasse.

8 – Quelle en est la qualité des pigments ?

Le crayon pastel est composé à la base des mêmes pigments que le bâtonnet de pastel sec. Mais la qualité des pigments est soumise à la compression et à la part des adjuvants (argile, craie, gomme arabique) utilisés pour que la mine du crayon reste ferme et ne libère pas trop de poudre. Les crayons pastel « Conté » contiennent de l’argile.

Le tracé du crayon pastel produit une poudre sèche et légèrement sablée mais qui adhère bien au support. La touche est un peu rugueuse.
Un tracé léger engendre une couleur non homogène participant ainsi de la couleur du support. Par exemple un trait de crayon pastel gris n° 33 tracé sur papier blanc, sera moucheté de blanc donc aura un aspect gris clair. Si la pression sur le crayon est forte, le gris sera foncé. La pression exercée sur le crayon permet de décliner les valeurs de la plus claire à la plus sombre.
La texture du trait, aplatie et un peu éteinte, ne présente pas, bien sûr, le grain aérien qui donne son souffle, sa luminosité au pastel sec.

9 – Je travaille exclusivement avec des crayons de couleur et j’ai tendance sans doute à rechercher le même résultat avec le pastel…

La technique minutieuse du crayon de couleur appliquée au pastel ne peut qu’être bénéfique ! Là, on se rapproche la tradition graphique des pastels « brindillés » d’artistes comme Millet, Degas ou Sérusier

La chorégraphie des traits et des tracés, l’onctuosité, les estompages, l’ampleur du pastel sec, sa luminosité vous ouvriront de nouvelles dimensions. Et qui sait si un passage par le biais du pastel ne favoriserait-il pas un retour magnifié aux crayons ? Le pastel, matériau brut, est une technique de base, et de ce fait un tremplin à la curiosité !

Voici quelques premières questions que je me pose et qui me font hésiter à me lancer.

Si le pastel vous questionne, c’est qu’il vous fait signe. L’appel d’un matériau est le facteur déterminant à de bonnes relations ! C’est en se mesurant au matériau qu’on en perçoit les potentialités, clartés comme obscurités, qui font comprendre la matière. Seule l’oeuvre en cours de réalisation est formatrice, à l’instar de toute expérience.

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Le pastel et les détails

Réponse aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)



….et pourtant j’ai déjà vu des réalisations très détaillées (les crayons pastel ou les craies sont certainement les outils qu’il faut pour les détails)

Le pastel se prête aux détails en fonction de la technique de l’artiste. Par exemple si les couches de pastel sont fines ou estompées elles accueilleront convenablement tout complément de poudre. Si la surface est travaillée aux traits, elle fera naître tout naturellement des détails fondés sur la superposition des couches en réseau. La fixation du pastel, bien entendu, permet des réalisations très détaillées. Quentin de la Tour atteint des sommets de virtuosité dans les détails de matière et de texture, cf. ci-dessous le portrait au pastel de Madame de Pompadour. Format 1,75 x 1,28 m. La composition du fixatif de très bonne qualité utilisé par le pastelliste n’est pas connue.

Par ailleurs, il y a des alternatives, des dialogues d’artiste avec son matériau pour nourrir son oeuvre de foisonnement sans forcément accumuler les détails. Cf. le pastel de Vuillard, place Vintimille : dans le grain de la poudre rapidement dispersée, dans la facture de la poudre du bâtonnet qui diffuse ou qui se fait poreuse comme du cartilage, on peut imaginer des frémissements de matière toujours renouvelés. L’impétuosité des traits parvient à nourrir, enrichir le pastel comme s’il était très circonstancié ! Les extrêmes se rejoignent parfois !


En outre, le recours à des techniques mixtes (techniques mixtes = utilisation de plus d’une seule technique pour la réalisation d’une œuvre) enrichit le pastel et par conséquent conforte les détails. Voir ci-dessous des exemples de pastel travaillés avec gouache, craie, crayon

La gouache

La technique des dessins de la Renaissance à la sanguine ou à la pierre noire, rehaussés de gouache, sied au pastel. Des rehauts de peinture au trait émaillent les pastels du XVIIIe siècle. Rosalba Carriera, une des premières portraitistes, donne relief à tel détail lissé de ses pastels très estompés, ornements d’un décolleté ou d’une cravate, au moyen d’éclats de gouache blanche.

Portrait de Gustavus Hamilton, 2e Vicomte Boyne par Rosalba Carriera. 1730 – 1731. Pastel sur papier marouflé sur toile. 42,9 x 56,5 cm.




Les craies

Les craies légèrement grasses, comme la sanguine ou le graphite, adhèrent bien au pastel. De plus le trait acéré sur la pointe ou l’arête du bâtonnet de craie se prête à la finesse des détails.

Les crayons

En principe les traits au crayon sont un bon complément structurel à l’indécision de la poudre de pastel. Les crayons pastel manquent un peu de corps et de contraste pour le tracé de détails précis. Le crayon noir est plus résolu.



MILLET La méridienne, 1866. Crayon noir et pastel sur papier Vergé. 29.2 x 42 cm. Museum of Fine Arts, Boston. Propriétaire Don Quincy Adams Shaw.


Beaux contrastes à la luminosité, les ombrages, approfondis de lignes au crayon noir. Cliquer sur l’image pour l’agrandir



Paul SERUSIER Paysage, 1912. Crayons de couleur et pastel sur papier gris.

L’alliage des crayons de couleur et des pastels sur papier gris procure une grande douceur à l’œuvre donnant ferveur à la dynamique des tracés affilés des herbes et frondaisons. Cliquer sur l’image pour l’agrandir
Conclusion
Les détails au pastel conservent l’esprit singulier du matériau. Au pastel, l’indécision ! La couleur qui paraît être en lévitation, insuffle aux oeuvres une sorte de distance de noblesse. La poudre est bien là, dans l’intimité de sa sensualité, mais en même temps elle reste secrète, distante, un peu réfractaire à la précision ; velours de la fugacité du rêve, elle papillonne vers un ailleurs subtil à la manière de la poussière dans un rayon de soleil…

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Le pastel : art d’une image approximative peu détaillée ?

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Réponse aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)

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« …De plus, j’ai l’impression que le pastel est un art d’une image approximative, peu détaillée. Plutôt un travail en grandes masses de couleurs »
Le pastel étant composé de poudre, sa texture est mouvante, délicate, voire indécise. De plus, la charge de craie qui aide à dégrader les coloris des pigments confère aux pastels des nuances douces et d’autant plus pâles que la charge aura été importante. Nuances fines, luminosités suaves et souvent des surfaces estompées peuvent conférer au pastel une impression d’approximation.

Les pastellistes du XVIIIe siècle ont beaucoup usé du côté vaporeux du pastel estompé. Les artistes symbolistes aussi. A première vue, le pastel se perçoit de façon sensuelle ; on ressent d’abord la douceur, la sensualité, le velours des grandes masses de couleur. Il émane des pastels une impression de recueillement, de sourdes sonorités de l’intimité, quelque chose de diffus et parfois fugitif, de l’ordre de l’éphémère. Les détails étant plus ressentis que réalistes.

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Du manque de repère, de nombreux artistes ont fait le support de leur inquiétude. Les Symbolistes par exemple pour suggérer le monde secret d’une vie intérieure.

Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953)
Calanque, 6 heures du soir, 1936
Pastel – 66 x 91 cm
Paris, Musée d’Orsay
Photo : Musée d’Orsay

Mais en définitive, et comme tout médium pictural, c’est la manière dont il est traité par l’artiste qui induit le caractère du versatile pastel. Exécuté sous forme graphique par exemple, le pastel gagne en vigueur, en rigueur.
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Peter Stämpfli
Record 1980, Pastel
Fond régional d’art contemporain de Picardie

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Comment superposer les couches de pastel sans les fixer ? (2)

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Réponse aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)

La créativité de l’artiste

Si en art, l’aspect technique (c’est-à-dire la façon de faire) peut être transmis, dans les limites de ses possibilités toutefois, reste surtout ce qui est insaisissable et pourtant essentiel, la vision de l’artiste, cette dynamique créative qui l’aide à sonder le matériau, et partant à s’exprimer.

C’est à la faveur de l’œuvre réalisée que l’on peut tenter d’analyser comment l’artiste est parvenu à apprivoiser la matière, jusqu’à la transgresser !
Les interprétations subjectives, suggérées par les œuvres, ont la capacité d’approcher un peu du mystère de la création.

Ci-dessous observation d’un pastel de Vuillard et d’un pastel de Riopelle. Ces œuvres ont-elles peut-être été fixées ? Que va nous révéler leur exploration ?

Observation d’un pastel de Vuillard


Edouard Vuillard
Place Vintimille. Vue de l’appartement de l’artiste vers 1915
Pastel 31 x 50 cm. Suisse. Collection privée. Photo du collectionneur.
Reproduction extraite du livre « Le pastel » de Geneviève Monnier, Edition Skira

Dans ce pastel primesautier de Vuillard, les superpositions sont bruissements de feuillage, cris d’oiseaux, mouvements de lumières… !

Sur un support de papier bis, dont le coloris d’origine paraît subsister à la base de l’oeuvre, sont essaimées des couches de pastel ténues, superposées, estompées, griffées de vives ponctuations noires de troncs, branches et personnages-branches !

D’alertes touches évocatrices déclinent le fond de la composition : apparences d’immeubles, valeurs bleutées, coin de ciel bleu, perspective ensoleillée…
Au premier plan, la place, mirage de lumière ocre jaune, auréolée d’impacts de pastel blanc comme neige, à reflets nacrés, engendrés par les sous-couches, est scandée de silhouettes d’arbres.

La substance de l’arrière-plan nourrit la bruissante frondaison de l’arbre central, au tronc hiératique. On devine, à travers le feuillage, les échos de la trame de fond sous une couche de pastel vert inégalement étalé, structuré de quelques touches musicales noires, dont une virevoltant sur un aplat lumineux de jaune venu effleurer le vert.
Ou bien encore, à la cime de l’arbre, le vert clairsemé de la frondaison laisserait-il remonter, au travers du feuillage, le grain de la trame du papier ?

L’arbre à gauche, du haut de son tronc de Christ en croix, semble surgir en lévitation d’une efflorescence floue, ocre jaune et vert estompés.

L’arbre à droite marche. Son faîte est devenu opaque comme velours d’avoir été frotté de pastel vert, puis saupoudré de pastel ocre jaune. La texture des deux superpositions dissimule, mais laisse déceler la charpente d’un lacis veineux sous-jacent.
Des branches noir hirondelle, émergées nues de la frondaison, prolongent la structure du tronc et des basses branches, tracées d’urgence au pastel noir, surlignant parfois le tracé de l’esquisse originelle.

Etant donné la spontanéité de la technique, la légèreté des aplats, les superpositions limitées à 3 couches de pastel, les éléments graphiques incisifs confortant les aplats hâtifs, la palette restreinte, (vert, ocre jaune, bleu, et noir et blanc) les pratiques qui accrochent la poudre au support comme fusion des couleurs ou estompage, une telle économie de moyens suppose une œuvre à l’assise solide ne nécessitant pas a priori la consolidation d’un fixatif.

Plongée dans la lumière fugace de la place comme vue du ciel sur les ailes d’un oiseau ! Peindre avec son saisissement … et le matériau s’adapte !

Observation d’un pastel de Riopelle


Jean-Paul Riopelle
Pastel
Sans titre, 1968. Collection privée. Photo galerie Maeght, Paris
Reproduction extraite du livre « Le pastel » de Geneviève Monnier, Edition Skira

Pour moi, une toile n’est jamais la reproduction d’une image. Ça commence toujours par une sensation vague, l’envie de peindre. Pas d’idée graphique. Le tableau commence où il veut… mais après, tout s’enchaîne. Ça c’est l’essentiel… Riopelle

Cette « sensation vague, l’envie de peindre » évoquée par Riopelle ne serait-elle pas la motivation universelle de l’expression artistique, soit le désir ? A partir de ce « vague » dans lequel on plonge comme dans les vagues, se déclenche l’action, à la fois, de survie et du bonheur indicible de voguer dans l’inconnu. Le matériau fait alors corps avec le nageur qui le travaille à l’instinct dans l’allégresse de l’effort !

« L’essentiel » Riopelle le pratique dans cette œuvre. Son envie de peindre va sécréter tout naturellement sa technique.
Ce pastel touffu, tissé d’un entrecroisement de lignes, donne à toucher la texture chaleureuse d’une tapisserie haute laine et surprend par le côté énigmatique de ses multiples tracés entrelacés. A partir d’un réseau de hachures rayonnantes, précisées sur aplats et frottis légers, s’enroulent, se déroulent, des lignes à main lâchée au pastel diversement ouaté.

L’accumulation contrastée de tracés nonchalants sur la géométrie en dents de scie des hachures, entraîne dans la dynamique d’un monde cinétique de vibrations ondulatoires interpellant des univers multiples : mystère de l’inconscient, circulation sanguine, eau et poissons, luxuriante végétation, pluie d’intempérie et, inscrit dans le fourmillement, comme l’autoportrait du peintre, gravé au trait en grand format, probablement à son insu…!

Vu l’enchevêtrement des lignes, il semblerait que l’oeuvre accumule les couches de pastel, alors que les superpositions sont pleines de soupiraux. Ce sont des ondulations de lignes qui font palpiter la matière et non des aplats.

Toutes ces lignes reposent sur un fond ensemencé de quelques touches de pastel légères faisant corps avec le support papier : un peu d’ocre jaune, des gris bleutés, des repentirs aussi ! Un minimum de matière, jusqu’à laisser entrevoir des plages du support non pastellées.

Une base texturée de la sorte garantit une bonne accroche au pastel à venir. Ainsi les vives hachures acérées imbriquées aux méandres indolents vont-elles bien mordre le papier, et s’éclater les deux graphismes, jouant à celui qui chevauchera l’autre…

Certaines lignes paraissent passées au pastel mouillé ou au pinceau imprégné de poudre de pastel, ce qui produit matière et manière renouvelées, tout en consolidant la fixation de la poudre au support.

En se rencontrant, ces stries s’animent au point de contact, se nourrissent de leur complémentarité. Une ligne jaune clair, en croisant des lignes de couleurs foncées se fait toute transparente au point de chevauchement, une foncée domine de son opacité des lignes claires tout en sertissant les plans lumineux qu’elles produisent, une rouge se perce de sang séché ou de rubis en fonction du croisement avec du sombre ou du jaune…

Et les endroits de repentirs où le pastel est saturé, où il dérape, comme un serpent blanc sur une ombre, ne font qu’ajouter au lyrisme de l’œuvre !

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« J’aurais bien à dire sur le pastel, mais je sais que la réussite d’une œuvre tient à autre chose qu’aux crayons ou au papier d’un artiste. Les recettes sont de bonnes indications pour les peintres, mais le travail matériel n’est qu’un aide secondaire »
(Vianelli, cité dans le journal de Rosalba Carrierra. Publication Alfred Sensier, 1865)
Extrait du livre « Le pastel » de Geneviève Monnier, Edition Skira

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Comment superposer les couches de pastel sans les fixer ? (1)

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Réponse aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)

3 – Peut-on superposer plusieurs couches sans les fixer, certains artistes expérimentés opèrent de cette manière ?

Au pastel, le mélange des couleurs s’opère directement sur le support. En tant que poudre, les couches de pastel sont naturellement instables. Comment alors optimiser la fixation du pastel au support sans l’aide d’un fixatif ? Voici quelques réflexions autour de l’aspect technique et artistique d’une accroche du pastel non assistée !

1) Aspect technique : l’accroche du pastel au support
– Qualité du support
– Qualité du bâtonnet de pastel
– Travail de la couleur

2) Aspect artistique : la créativité de l’artiste (à suivre dans prochain message)
Observation d’un pastel de Vuillard
Observation d’un pastel de Riopelle

L’accroche du pastel au support

Qualité du support

Le support a une grande importance dans l’œuvre picturale car la façon dont il recueille et assimile la couleur fait partie du bâti de l’œuvre. Dans le cas du pastel, la qualité du support est fondamentale pour la fixation de la fugace poudre.

Support non lisse
Tout support non lisse retient la poudre du pastel : papier, carton, bois, plâtre… Certains supports ont des tramages adaptés à la spécificité du pastel ; texture douce : papier Ingres, papier vergé, Mi-teintes de Canson ; texture rêche : carton « Pastel card » de Sennelier, encollé de poudre de liège.

Un papier aquarelle à grain convient également. La richesse du pigment y est mise en relief, l’aspect laiteux du pastel s’y révèle ainsi que des transparences. Par ailleurs, si le pastel est étalé mouillé, il fait corps avec le support, une fois séché, à l’exception de petits amas de poudre agglomérée qui pourraient se détacher comme boue séchée par endroit.

Préparer le support pour donner plus de mordant. Exemple, enduire la surface d’un papier, de préférence épais, de poudres de marbre liées à une résine ou d’un Gesso prêt à l’emploi, texturé pour le pastel…

Le papier verre extra fin accepte volontiers la charge de plusieurs couches de pastel, au risque de restituer l’excédent de poudre. Un excès de rugosité, ne permet pas toutefois d’obtenir des nuances fines. Sauf, qu’il n’y a pas une vérité en art, mais autant de vérités que d’artistes ! Ainsi, la texture aux douces nuances des pastels de Quentin de la Tour peut-elle prendre appui sur un support enduit de poudre de verre bleu, dont la stabilité, par ailleurs, permettait de conserver sa pérennité à la couleur bleue du fond !

Couleur du support
De laisser par endroit transparaître la couleur originelle du support, engendre une couleur et un éclairage sous-jacent.

Marouflage
Maroufler (coller) l’œuvre au pastel, exécutée sur papier, sur un support rigide ou une toile, en consolide les pigments, mais l’opération est délicate. L’œuvre, une fois marouflée, accepte d’être retravaillée.

Qualité du bâtonnet de pastel

Les bâtonnets de pastel sont composés de pigments, d’une charge, la craie, et d’un liant (une colle, la gomme arabique généralement.) Chaque fabricant a ses propres dosages et secrets de fabrication.

Une part de colle importante consolide le bâtonnet et donne une poudre fine, légère. En revanche, les pigments d’un bâtonnet de pastel à « pulpe » tendre ont une faible quantité de liant, ce qui les rend friables mais dote leur poudre d’une texture couvrante et moelleuse.

Superposer les couches de pastel crescendo, de la plus fine à la plus chargée garantit une bonne tenue des superpositions. Par exemple commencer le travail directement à l’aide de pastel léger, tel Rembrandt de chez Talens ou d’une base avec d’autres médiums : fusain, craie, peinture… Superposer par exemple du pastel Sennelier dont la poudre très pigmentée est couvrante ou le pastel précieux à base de couleurs naturelles, minérales et végétales de l’Artisan Pastellier.
Terminer par des touches de pastel Schmincke, les plus veloutés des pastels et qui n’acceptent pas d’être couverts par d’autres poudres !

Travail de la couleur

La façon d’appréhender le pastel varie à l’infini de l’imagination artistique. Noter que, travaillé à l’économie, couches fines, notations, discrets rehauts, le pastel adhère plus sûrement au support.

Touches variées
L’inconstance de la poudre induit de multiples variations de textures. Superpositions de tracés, couches en aplats, estompe partielle ou totale, pastel insensiblement effacé par endroit, pastel gratté, frotté, humecté, étalé à l’éponge, gommé… Retirer de la couleur à la gomme mie de pain, dont la texture est agglutinante, permet aussi de faire adhérer la couleur résiduelle au support.

En cas d’estompage, veiller à exercer une pression légère pour faire pénétrer la poudre dans les pores du papier, sinon la surface risque de devenir glissante et donc impropre à recevoir de nouveaux apports de pastel. Un estompage délicat fixe la poudre au support, et sans perdre trop de luminosité.

Les contraintes obligent l’artiste à s’ingénier et partant à faire des découvertes. Comme dans tous les arts, c’est la partie obstinée du matériau qui révèle l’artiste à lui-même.

Monochromie
La monochromie évite la saturation des superpositions ! Le passage d’une couleur pure, éventuellement modulée de tonalités, se prête parfaitement à la nature du pastel toujours un peu porteur de l’idée du dessin de par sa substance poudreuse et la richesse de son trait. En outre, les teintes monochromes conservant leur intégrité réfractent la lumière en toute limpidité.
La bichromie ou usage de deux couleurs est, naturellement, bien tolérée par le pastel.

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La poudre de pastel est-elle déconcertante ?


Réponse aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)
Question :

Très attiré par le pastel, j’hésite néanmoins à franchir le pas car l’instabilité de la poudre me déconcerte quelque peu (comme l’eau en aquarelle.)

Réponse :

Peindre est une pratique d’ordre physique, empirique, et plus on se pose de questions avant de l’appréhender, plus on diffère le moment de l’affrontement avec le matériau, ce corps à corps indispensable à la création de l’œuvre.

Mais le physique et le mental s’influencent réciproquement et vous êtes possiblement pour l’instant dans la période d’expectative où un artiste ressent instinctivement l’impulsion du matériau qui lui conviendrait mais n’ose pas l’éprouver car il estime qu’il n’est pas prêt ; un peu comme pour différer le moment de la rencontre avec quelque chose de l’ordre du sacré ! En attendant, tout matériau fondera l’apprentissage d’une quête de vérité et il peut arriver qu’un jour le pastel s’impose à vous.

L’instabilité de la poudre, celle de l’eau, ouvrent la voie à l’aventure de l’exploration artistique…une terre à découvrir, une mer à prendre… !

Impression de ne pas maîtriser les effets.

Tantôt l’artiste domine la matière tantôt elle le domine, et l’œuvre naît de cette joute perpétuelle. Il est vrai qu’avec le pastel, l’artiste a plus l’impression d’accueillir et de s’adapter que de dominer le matériau ! Mais n’est-ce pas cet état de mise à disposition qui va lui permettre de se former à la matière, d’en pénétrer les secrets jusqu’à parfois l’inspirer ? A trop vouloir dominer on risquerait de ne plus se renouveler !

Le pastel tendre est composé de pigments presque à l’état pur car très peu modifiés par la nature du liant ou autre adjuvant, ce qui est une rareté en art pictural ! Cette spécificité fait l’étrangeté de la poudre du pastel : une touche lourde de matière n’est cependant accrochée aux pores du support que par un fil ! La poudre est légère, volatile, mais en couche fine elle adhère assez bien au support et sa trace, une fois fondue, a la ténacité opiniâtre du pigment !

L’instabilité de la poudre de pastel donne l’impression à l’artiste de manquer de prise sur le réel, de glisser dans les nues. D’autant que la capricieuse poudre a le pouvoir atmosphérique de faire passer d’effets de lumière subitement et irrémédiablement enterrés, à des effets de lumières magiques jaillissant du pur hasard d’une gestuelle !

On apprend alors à composer avec le matériau, et de façon inédite, vu la grande diversité des textures que les riches pigments du pastel induisent. Ainsi, l’instabilité de la poudre va-t-elle mobiliser l’artiste pour l’aventure.

Le pastel, matériau primaire, porte en gestation des ressources très diversifiées :
Le bâtonnet offre l’intensité directe de sa couleur pure. En fonction de la pression sur le bâtonnet, la couleur peut soit avoir la légèreté d’un souffle jusqu’à laisser percevoir la trame du support, soit être plus ou moins couvrante et opaque.
Deux couleurs superposées n’apportent pas toujours les nuances exactement souhaitées, mais en revanche souvent la surprise de tonalités inespérées en luminosité. Les couleurs étalées peuvent être fondues par estompage.
Le bâtonnet peut être utilisé sur le chant pour tout graphisme. En superposition, les traits ouvrent la voie à des effets optiques de matière et de profondeur.

Et le pastel n’a pas encore dévoilé qu’il se prêtait avantageusement aux techniques mixtes ! Sous forme de rehauts, le trait de pastel nourrit généreusement une œuvre de sa riche texture. En contact avec des médiums à bon pouvoir d’accroche au support, le pastel se stabilise en incandescent parasite !En outre, le pastel est un médium dont la facture est aussi expressive en dessin qu’en peinture ! Quelques traits sur une feuille et jaillissent opulence de substance, intensité de coloris, vibrations de lumière. Puissant est le trait de pastel d’un dessin spartiate ! Quand la poudre recouvre complètement le support, à la manière de la peinture, un excès de riche matière risque à la limite de s’annihiler.

Voici quelques exemples d’innovations à partir d’oeuvres de peintres à sensibilité intimiste : Chardin, Degas, Redon, Rouault.

Jean Siméon Chardin

Autoportrait au crayon, 1775 – 1779. Pastel sur papier bleu.
Musée du Louvre, Département des Arts graphiques (Image en provenance de www.insecula.com)

« On se sert des couleurs mais on peint avec le sentiment !» ChardinVenu tard au pastel, Chardin a l’autorité pour le prendre d’assaut en toute hardiesse, à l’encontre de la séduisante texture raffinée des pastels académiques du XVIII° siècle, souhaitant démontrer l’égalité hiérarchique pastel – peinture à l’huile. (Rosalba Carriera, Quentin de la Tour, Perroneau, Liotard …)

Le « sentiment » de Chardin devait être puissant étant donné la force de ses touches de pastel individualisées, laissées à l’état brut, épaisses, carrées, et juxtaposées à des surfaces non estompées, donc propres à la palpitation du grain pigmenté.

Les innovations techniques de Chardin sont aussi probablement liées pour une part à sa vue devenue très déficiente, qu’il compensait, de la sorte, par des effets audacieux de couleur-matière. Pour des raisons analogues, Degas aussi se débridera dans le pastel.

Cet autoportrait recueilli, tout en pénombre, est l’une de ses dernières oeuvres. Le regard, déjà détaché du monde, frappe pourtant celui du spectateur de façon déterminée en signe bienveillant de transmission. Des éclats écrasés de rouge vermillon sur les mains et sur des parties du visage, contrastés de lueurs bleues et vertes, préfigurent le fauvisme et les coloristes de la peinture moderne de Jawlenski à de Staël.

Et en exergue du portrait, né de la main de l’artiste, le rouge ardent de ce bâtonnet de pastel, chargé de silence fervent comme une main éclairée à la bougie dans une peinture de Georges de La Tour ! Pierre Rosenberg (Historien d’art) commente ainsi la symbolique du bâtonnet « Dans son dernier pastel, Chardin utilise une seule tache rouge représentant un crayon de couleur. Une manière de dire : jusqu’à la fin, c’est avec cela que je m’exprimerai. »

Edgar Degas

Femme s’essuyant les cheveux, pastel, vers 1905-1910
71.1 x 62.2 cm, Norton Simon Foundation, Pasadena
(
Image extraite du livre « Degas, les nus » de Richard Thomson. Nathan)

La matière des pastels de Degas est constituée de lignes, le dessin étant primordial chez lui. Degas peut multiplier les superpositions de poudre du pastel car il en fixe chaque couche. Des réseaux de vives hachures, enchevêtrées par le biais des superpositions, créent profondeurs, transparences, reflets nacrés, toute une épaisseur luxuriante comme la chair domptée d’éclairs des nus tardifs.

Le nu observé ici semble outrepasser les limites dissonantes des couleurs coutumières du peintre. Degas, en sa vue affaiblie, se laisse aller à l’abandon de tout perfectionnisme sur ce modèle dont il a exécuté auparavant des séries jusqu’à la saturation ! Noter combien les biffures rageuses au pastel lactescent s’éclairent de lustre sur les trames hachurées de demi-teintes sombres des sous-couches.

Le nu prend alors son autonomie vibratoire et les deux pans de la serviette blanche s’ouvrent comme une coque de mer sur un nu rose cuisse de nymphe, discordant sur le fond saumoné, hachuré rose et jaune, de la tapisserie !

Odilon Redon

Jeanne d’Arc, vers 1900 Pastel, 27.5 x 52 cm.
Musée d’Orsay, Paris (Image extraite du livre “Redon” chez Taschen, 1995)

Les contours incertains de l’œuvre au pastel conviennent à Redon, peintre de l’intériorité. Effets fugitifs, évocateurs, modelé diffus, texture éphémère. « Mes dessins inspirent et ne se définissent pas. Ils ne déterminent rien. Ils nous placent, ainsi que la musique, dans le monde ambigu de l’indéterminé »

Chez Redon le pastel effleure le support. C’est le cas de ce portrait symbolique de Jeanne d’Arc. Une couche de pastel à main levée suffit à faire vibrer la couleur. La poudre rouge Cadmium posée sur le support de papier noir, contrastée dans les interstices de quelques ponctuations Outremer et ensoleillée d’un peu de jaune par endroit, ruisselle de lumière ; le rouge devient une forêt de magma sur laquelle se découpe le profil impassible du sujet coiffé d’un chignon d’abondance phosphorescent d’entrelacs ciselés comme un vitrail de feuilles, (y médite une divinité dans la nature ?) finalement voilés d’estompe et d’une nuée de sulfate !

D’autre part, la simplicité de la composition donne intemporalité à l’œuvre. Profil émergeant d’une fresque de Piero della Francesca ou d’une bande dessinée moderne ? La bulle soufflée, pastellée sans fusion, à même le fond noir, reluit comme un cristal de voyance ; descend du ciel profond en poisson cosmique !

Georges Rouault

Le chahut, 1905 – Aquarelle et pastel, 71 x 55 cm.
Musée d’Art moderne, Paris
(Image extraite de “Rouault” by Bernard Dorival, Flammarion 1992)
Le pastel apprécie d’être travaillé en techniques mixtes. Il bonifie d’autres techniques, que ce soit en rehauts ou en mixité. De plus, travaillés en mélange avec d’autres médiums, notamment aqueux, les pigments bénéficient d’une bonne adhérence au support.
« Le chahut » est une œuvre enlevée, dessinée dans une farandole d’eau et de poudre. En crête de vague, surgit la férocité de la danseuse en un tournoiement de lacis lancés à l’aquarelle et de dispersion de pastel bleu persan et mauve rougeâtre.

 

Du pastel vient pondérer cette envolée tantôt traversé d’aquarelle à la flaque, tantôt recouvrant par endroit des plages aquarellées, de rehauts nerveux. Les deux médiums se boivent l’un l’autre, jusqu’à brouiller les pistes, sauf quand le pastel est essaimé en transparence sur des réserves blanches du papier.