Archives mensuelles : décembre 2007

Degas et le papier calque (5)

Ultimes pastels sur papier-calque

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Degas a pour habitude de signer ses œuvres lorsqu’elles quittent ses mains mais pas celle de les dater. C’est pourquoi beaucoup de pastels sont approximativement référencés. Néanmoins la période mentionnée aide à définir la nature du travail.

Dans la lignée du pastel « Femme à sa toilette », situé entre 1900 et 1905, présenté au chapitre Pastel sur papier-calque, voilà ci-dessous le pastel « Femme vue de dos, se séchant les cheveux » situé dans la période 1905-1910. On y retrouve le thème récurrent de la femme à sa toilette dans la salle de bain, le corps pudiquement replié, mais ici le traitement du pastel est spécifique.

En effet, cette œuvre, comme toutes les œuvres tardives de Degas, est sous influence de sa vue déficiente, ce qui incitera le peintre à renoncer peu à peu à la précision naturaliste pour ne retenir que l’intensité de l’émotion.

Les plus fulgurants pastels sur calque, notamment les nus, sont issus de cette période de fin de carrière où les touches de pastel zigzaguent à l’aventure, tout en stridences de lignes et couleurs.

Le pastel « Femme vue de dos, se séchant les cheveux » est un peu à la charnière des deux manières, comme un soupir entre la période des nus classiques atypiques, et celle des nus ultimes désormais troublés de vibrations.

Femme vue de dos, se séchant les cheveux, vers 1905-10
Pastel sur calque, 57 x 67 cm
Paris, collection privée

(Reproduction extraite du livre « Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery Publications London, 1996)

Observations :

Rien ne manque à cette œuvre, des rituels de Degas, ni le thème intime de la femme à sa toilette, ni le montage du support à l’aide d’ajouts de bandes variées de papier-calque.
Pourtant
Il ne reste que soupçon du nu et du décor tant de fois réitérés, libérés de tout artifice de mise en scène.
Ici, Degas, ayant à s’adapter au brouillard de sa vue se fait oublieux de perfectionnisme et de réalisme. On plonge ainsi dans la suggestion des couleurs et la simplification des formes.

La composition se résume aux lignes essentielles d’un nu émergeant d’une corolle. Abstraction du décor, traces de leitmotivs : tentures évoquées par d’obliques bandeaux de couleur, pudeur du nu presque disparu, enfoui dans un grand triangle musical joignant le sommet de la tête à la pointe du coude et à celle du reflet bleu ; au centre du triangle, se niche la pointe du sein gauche en résonance au triangle dessiné par le bras droit. Ellipses de formes si souvent caressées de pastel, le dos se déploie en éventail, la discrète chauffeuse, couplée à l’allusion d’une baignoire, semble prendre son envol. Des raccourcis synthétiques à la Picasso sont déjà inscrits dans ces va-et-vient géométriques !

Les couleurs sont exécutées en aplats, de façon hâtive. Il ne s’agit plus de définir des tonalités d’étoffes ou de chair mais plutôt d’irriguer de coulées d’ensoleillement ; et voici que l’ocre jaune pénètre jusque dans le corps en soleil fondant veiné de véloces hachures bleutées turquoise, et que la carnation du dos se fait peau de parchemin enluminée de quelque apparition à rayonnement mystique façon Odilon Redon !
Le nu est baigné d’un halo bleu, peut-être conséquent au travail insistant de décantation d’un nu préalable, dont on devine à partir de la tête, la trace modifiée le long de l’épaule et du bras.

De fines lignes bleu sombre semblent inciser l’étendue de neige de la serviette blanche et rappellent la passion de Degas pour la gravure. On les dirait comme tailladées pour recueillir le bleu de la couche de pastel inférieure… ! Ces lignes, sommaires, et comme griffonnées par endroit remplacent un travail de relief attentionné que le peintre aurait pu faire en d’autre temps. Maintenant Degas n’impose plus, il s’adapte à la vérité des choses.

Doux linge lacéré, pour la frustration de toutes les serviettes qui ont épongé la chair moite des femmes au sortir du bain ? Reflet d’émail bleu dans la baignoire ou gros poisson à tête bleue s’abreuvant à la source du mystère féminin, pour toute l’eau des ablutions à répétition ?

Les passages bruts de couleurs, ocres brun et jaune contrastés de bleu et blanc, et la bichromie chaud et froid de l’oeuvre, la font émerger au-delà de la scène intimiste évoquée. Il pourrait être question ici de bois, d’eau, de neige, de soleil, d’évasion ! Les contingences temporelles sont transfigurées par le regard intérieur du peintre.

Ainsi ce pastel est-il comme une transition méditative entre les nus antérieurs aux couleurs éruptives nées d’enchevêtrements de lignes aux tonalités osées, et les nus ultérieurs qui vont s’enrober d’éclairs pour mieux résister à la nuit qui tombe peu à peu du regard de l’artiste.

Cette quête de l’essentiel confère une dimension spirituelle à l’œuvre, icône stylisée et dorée, cubiste déjà, mais surtout intemporelle. Oeuvre visionnaire !

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ArTbre (3)

ArTbre est un livre d’artiste à deux voix. Tirage limité à 30 exemplaires.
Encres de
Marie-Lydie Joffre – Poèmes de Carole Menahem-Lilin .

Il n’y a pas
D’arrêt
Que des recommencements avivés par la mort

Sous la terre courent les racines
Et quand on m’enfouira je deviendrai
Muqueuse
Pour une langue à venir.

Tremble
Arqué dans son carquois craquant
Et les rejets ne s’écartent
Que pour de nouvelles flèches
Plumes de geai dans le noir de nos signes.

Tremble
Signe siffle nos épaules.

Arbre, sentinelle du temps

Arbre sentes, sentiers
Etagements longs, flexibles,
Toits sans Ego
« Soi » de feuilles.

Branches déclinées à tous les temps
A toutes les fenêtres

Depuis les pieds démesurés qui prirent racine
Jusqu’au faîte qui frissonne
Dans le dur pinceau d’hiver.

Suspendre ses draps, déplier ses doigts,
Pousser ses branches
A tous les temps de l’être

Dans l’arbre, arboriser
Et suivre de son souffle
Sans pudeur
Ni orgueil
L’incroyable étagement

Multiplier ses insectes
Préparer ses âges
Fomenter le fruit.

Aux soupentes du temps
Toucher du doigt
Les caravelles du ciel.

Collier d’engelures
Boutons de cicatrices
Superbe
Dans l’étreinte millionnaire
De ses doigts noircis

Noir du diamant
Dans la soie de l’hiver.

Celui-là ne sait rien
De la petitesse de nos vies pressées
Il entrecroise ses branches
Comme nous déroutons nos quartiers

Tant de ramures
Comme rideaux
A nos fenêtres

Regards d’écorce
Routes de sève
Dans nos veines le solstice
Recommencé.

Olivier de ma vigne
Agenouillé
Cagneux
Rageur

Ton œil rond
Tes bras sans chemise, noueux

Tu affrontes l’amour rauque
Tu affrontes les vents braques
Les tempêtes de saveur

Et tes branches,
En bataille,
S’enflamment blanches.

Celui-là est seul
Décidé
Et l’orage
Ne l’échouera pas

Pourtant
Du centre il craquera
Comme un livre ouvert

Oiseaux insectes lézards
Ecureuils papillons

Conquérir très haut
La lumière
Afin de s’ouvrir pensif
Aux vies presque invisibles
Minuscules et sauvages

Ecrire
Le livre sur l’écorce.

……

A suivre
ArTbre 1
ArTbre 2

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ArTbre (2)

ArTbre est un livre d’artiste à deux voix. Tirage limité à 30 exemplaires.


Silhouettes effrayées
Soudées au ciel
Par le nœud de leurs branches

Branchies, bronches
Respirent les nuées
A pleins poumons du temps

Respirer
Survivre – résister

Ecorces effrénées
Bouches de la tempête

Depuis les racines jusqu’au faîte
Une pleine guitare sonore
Une cargaison de vies
Effrayées
Respirantes

L’arbre parfois halète
Pour ne pas gémir.

Ventre
Dénudé dans sa noirceur praline

Les engelures
Produisent un gel d’ange
Et les branchelures
Branchellement
Etincellent.

Le sel de l’aube.

Le sang de l’arbre.

Un parfum d’écorce me hante
Un parfum de bois, dans la terre brûlé
Brûlé très lentement comme
On étouffe les feuilles.

On a endormi des livres et brûlé des enfants

On a bâillonné
On a fait croire
Le contraire de l’être

Mais la plainte demeure

Et sur la plainte
Qui enfonce ses racines
Qui croît en ramures

Sur la plainte
Le rire court de feuille en feuille
Comme coccinelles
Courent et s’unissent
Pour recommencer
Le soleil planté.

Flamme noire
Van Gogh brûlé
En bordure de forêt

Corps sans artifice

Arbres
Entrer en eux
Comme dans mes rues je rentre
D’une ruade affamée

Coquille d’ardeur
De sève tordue
Et de bois soleil

Boire le soleil

Je suis la porte
Ils sont les murs.
Et ma bouche,
Depuis les groseilliers de mon enfance
Depuis les frênes et les pruniers,
Depuis toujours les chante
Rouge dans l’arbousier rose.

On a vendu mes arbres
Mais ma voix dans leur voix m’est restée
Trace
Cicatrice
Qui par moments s’envole
Comme l’oiseau brun dans le poirier

Comme caillou dans la poitrine
Ma voix s’envole…

Et les arbres
M’accueillent oiseau triste
Promptement consolée du
Provisoire
De la déchirure
Par leurs bras entravés.

Et les arbres
Me rendent la mémoire minérale
M’ôtent la mémoire de moi-même
Aujourd’hui

Bâillon du désir
Mettent dans ma bouche
Un goût de fer et de bourgeon

Un instant n’être plus rien que flèche
Vibrance noire
Dans l’air bleu.

……

A suivre
ArTbre 1
ArTbre 3

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ArTbre (1)

ArTbre est un livre d’artiste à deux voix. Tirage limité à 30 exemplaires.
Encres de
Marie-Lydie Joffre – Poèmes de Carole Menahem-Lilin

Préfaces

Les poèmes ont été écrits en quelques heures hypnotiques, durant lesquelles ces arbres saisis par Marie-Lydie semblaient sortir de la page pour m’appeler, et m’entraîner dans le vent et l’odeur des racines – très loin dans la forêt du réel, dans le bois de l’enfance. Sourires, larmes, jaillissement, retours, secrets.

Marie-Lydie lorsqu’elle dessine sur le motif travaille vite, dans l’essentialité du rythme, comme en transe. Et moi je m’imprègne de ses encres jusqu’à écrire de même dans le saisissement / dessaisissement. Surgissent alors des mots que je n’attendais pas, des images que j’ignorais porter.

Me découvrir dans l’autre – découvrir l’étrangeté en moi. Ecriture au crayon de bois noir, autour, au-dessous, au-dessus des encres scannées et reproduites. Entourer, cerner, creuser. Presque écrire entre les lignes du dessin, comme on se coule entre des troncs, comme on explore le labyrinthe.
Puis retourner la page et m’évader dans une blancheur striée de noir.

Carole Menahem-Lilin

J’oublie tout auprès de l’arbre, à le dessiner sur le vif ! Le calame trempé d’encre de Chine court sur la feuille blanche au rythme de mon souffle porté par le vent et la lumière du ciel…

Marie-Lydie Joffre

Geste somnambule des danseurs
Inconsciente beauté

Dans l’élan de soi,
La route du tronc
Les cinq doigts les trois branches
Et le ciel qui s’enfuit,

Vol sauvage en déroute

Soie déchirée.

Amour à distance
L’une dans l’autre les branches
S’appréhendent et s’emboîtent,

Et le ciel qui frémit
Ici fait la tendresse,

Ou le vent transparent
L’appel de la furie.

Troncs portés levés inclinés :
Arbres somnambules
Dans le tremblement noir d’amour

Balancement
Montée de la sève
Rêve féroce

Aube d’aubier.
S’embrasser
Ne faire qu’un
A distance

Mêlée furieuse de racines
Et de branches
Sous la terre.

(Avez-vous tenté déjà
De résister à l’avancée inexorable
Des racines ?)

Au-dessus de la terre
Postures de danseurs ivres
Equilibres sensuels

Maintenir la distance
Pour voler ensemble le soleil.

D’un tronc unique
Deux corps jaillissent :
Danseurs de tango
Aimantés par le ciel

Tant d’années pour
Cette dentelle brève
La geste et la mémoire
Du vent qui façonna.

La lune qui étreignit
La lumière entre les feuilles
Ne sont plus que
Ce tremblement noir,

La déroute des écorces
L’amour peut-être
Patiente dilatation
Séparation des milliers de vies
Minuscules
Dans les éclats gris du tronc.

Aller venir
D’une aile surprise
D’une branche indolente
Des frissons à la nuit

Dans le manteau goûteux de la pluie
Ouvrir ses yeux d’écorce
Par millions
Ses ventres doux
Eventail sexuel

Branches tendues, exacerbées.

Mica tremblant
Lente poussée des racines
Rendez-vous millénaire
Des mousses à fleur de terre.

A chaque enfant son éveil
Cursives et dents de lait
Premières lettres découpées
Dans la page d’ombre et de soleil

Petits loups
Dans les bois de leurs mères
Où la faim crie
Car il faut bien que la curiosité
Retourne les ventres.

Mots murmurés
Par les bouches brillantes
Par les branches souples
Des cheveux de leurs mères.

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A suivre
ArTbre 2
ArTbre 3

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