Archives mensuelles : février 2015

Face à face de l’œuvre et du regardeur

Il dépend de celui qui passe que je sois tombe ou trésor
Paul Valéry

A l’occasion d’un vernissage, le photographe a saisi la rencontre de Samantha et d’un pastel exposé. Surprise en cage dans un face à face avec l’oeuvre, Samantha se trouve dans des conditions d’isolement propices au dialogue ! Son attitude sensitive est évocatrice de ses sentiments.

Saisissement de la découverte !

Questionnement et recueillement

Moment du flottement de la perplexité ! Approcher le matériau, essayer d’en pénétrer le mystère, être à l’écoute de ce qu’il provoque en soi où tout se bouscule car l’oeuvre donne à ressentir, penser, imaginer, et questionne autant qu’elle demande…

Transportation au-delà de l’œuvre

Regard intérieur, peut-être inspiré par ce sentiment de plénitude secrète que l’on éprouve souvent à la visite d’une expo, et qui donne confiance en soi et désir de créativité.

L’œuvre qui s’est vue regardée, existe, ainsi est-elle ressourcement pour le regardeur, et l’auteur.

Ce qui importe c’est de fonder un amour nouveau à partir d’êtres et d’objets jusqu’alors indifférents
René Char (« Sous la verrière » conversation avec Georges Braque »)
avec l’aimable autorisation de Samantha et de ses parents
Papillon vermillon, pastel de Marie-Lydie Joffre
Photos © Jacques Joffre

Sunday, August 21, 2011

“Corps et ombres” Caravage et le caravagisme européen (4) Georges de La Tour

Georges de La Tour (Vic-sur-Seille, 1593 – Lunéville 1652)

image(1)Le Nouveau-né. Huile sur toile. Vers 1648. H. 76 cm ; L. 91 cm. Rennes, musée des Beaux-Arts

Voici l’inespéré en peinture ! Quiétude de l’inquiétude, chaleureuse intimité, les âges de la vie, jeune maman étonnée, pensive, petit souffle de tendresse comme un brin de buée au nez du nourrisson, on ne se lasse pas de contempler ce chef-d’oeuvre, sans cesse renouvelé telle la respiration. Oeuvre universelle.

Georges de La Tour est un peintre visionnaire. En son temps, le XVIIe siècle, ses oeuvres étaient déjà très appréciées. L’artiste, peintre ordinaire du roi Louis XIII recevait des commandes de la part de la Cour et de clients parisiens. Il avait offert au roi une peinture de “Saint Sébastien”, pièce si belle que le monarque “fit ôter de sa chambre les autres tableaux pour n’y laisser que celui-là.”
Pourtant, après sa mort, les oeuvres sont oubliées et ce n’est qu’au XXe siècle qu’elles sont réhabilitées. Seule une quarantaine de tableaux ont été retrouvés, la plupart ayant péri dans l’incendie de Lunéville à l’époque de la guerre de 30 ans.

Aucun portrait ni autoportrait de l’artiste n’existe.

La peinture de Georges de La Tour, crépusculaire nébuleuse où une tache rouge dominante est immergée dans un monde clos de tonalités ocres à bruns, inspire silence et méditation. La plupart des scènes sont en intérieur et les personnages peu nombreux comme dans les peintures du Caravage. Cependant le style de Georges de La Tour n’est pas réaliste mais stylisé à l’extrême de façon presque cubique ; les volumes, étagés en plans simples jusqu’à la retenue, la pudeur, l’immobilité, sont apprêtés pour l’éternité ! Chez lui les cris sont intériorisés. Ce qu’il cherche au travers d’un visage lunaire, un geste suspendu, une attitude figée, un regard lointain ou aveugle c’est à questionner la destinée de l’homme.

Georges de La Tour transcende le quotidien de spiritualité, la lumière de subtilité.

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 Ci-dessous extrait du journal Midi Libre : l’arrivée au musée Fabre de Montpellier du célèbre tableau “Madeleine à la flamme fumante”

image(2)“Madeleine à la flamme fumante”, tableau jamais restauré, juste nettoyé mais dans un incroyable état de conservation, le jour où il a été dévoilé au musée Fabre. A gauche, avec les gants, Jean-Patrick Mirandel, conservateur au musée de Los Angeles qui le prête.” A ses côtés Monsieur Hilaire, conservateur du musée Fabre.

 

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Voici deux citations du poète René Char à propos de l’art de Georges de La Tour (extraits des textes : LE NU PERDU 1964-1970)

JUSTESSE DE GEORGES DE LA TOUR

26 janvier 1966.

L’unique condition pour ne pas battre en interminable retraite était d’entrer dans le cercle de la bougie, de s’y tenir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant.

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Il ouvre les yeux. C’est le jour, dit-on. Georges de La Tour sait que la brouette des maudits est partout en chemin avec son rusé contenu. Le véhicule s’est renversé. Le peintre en établit l’inventaire. Rien de ce qui infiniment appartient à la nuit et au suif brillant qui en exalte le lignage ne s’y trouve mélangé. Le tricheur, entre l’astuce et la candeur, la main au dos, tire un as de carreau de sa ceinture ; des mendiants musiciens luttent, l’enjeu ne vaut guère plus que le couteau qui va frapper ; la bonne aventure n’est pas le premier larcin d’une jeune bohémienne détournée ; le joueur de vielle, syphilitique, aveugle, le cou flanqué d’écrouelles, chante un purgatoire inaudible. C’est le jour, l’exemplaire fontainier de nos maux. Georges de La Tour ne s’y est pas trompé.

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Interaction du fond et du sujet en peinture

Question d’un internaute :

 Lors de l’exécution d’un pastel faut-il : commencer par le fond (par exemple une montagne) puis passer par-dessus pour peindre (par exemple une biche) et doit-on “fixer ” le fond auparavant ou bien faire le premier plan et “mettre autour le fond”?

Réponse :

La tradition dans la plupart des techniques de peinture, dont le pastel, recommande de commencer l’œuvre par l’arrière-plan, c’est à dire le fond. C’est comme dans la vie, ce qui existe en premier induit et renforce ce qui vient par la suite ; les fondations soutiennent la maison !

Traiter d’abord le fond – ne pas fixer- chemin faisant apportera de la matière dont va bénéficier la définition du sujet ou premier plan. Cette pratique est une mise en oeuvre réfléchie pour faire surgir le sujet de façon accompagnée comme une naissance. C’est une exploration dans le miroir réfléchissant des pigments de pastel.

Si on commence à peindre « le premier plan » (ou le sujet) puis à traiter « autour le fond », on réalise plus un acte de juxtaposition et coloriage que d’immersion picturale. Mais pourquoi cette expression spontanée serait-elle à exclure ? Les peintures des enfants ne sont-elles pas les oeuvres les plus sensibles ? On peut également ne s’intéresser qu’au sujet ou inversement qu’au fond ; on peut évidemment envisager tout ce que l’on veut !

Tout est faisable en peinture, et il y a autant de façons de s’exprimer que d’artistes. L’art c’est la vie de l’imaginaire donc de toutes les libertés.  Il n’y a pas de règles d’architecture pour un château dans les nuages. G.K. Chesterton

Ci-dessous, quelques exemples de réalisations au pastel :

. Degas fixait des couches successives de pastel entre elles, parfois en grand nombre ! Le pastel une fois fixé chute de tonalité, peut prendre un aspect translucide de parchemin, et sa surface devenir légèrement rugueuse. Ainsi traitées, les superpositions entrent en résonance avec les ressources accumulées depuis la première couche et procurent chatoiement et profondeur à l’œuvre. La dernière couche de pastel n’étant pas fixée pour la conservation de sa « fleur ».

. Estomper légèrement, d’un doigt aérien, du pastel essaimé sur un support papier non travaillé, en couche fine, de façon que le pastel qui sera déposé par dessus puisse accrocher sans déraper ! La fugace luminosité ainsi obtenue diffusera sur le sujet. Par exemple une montagne dessinée sur un ciel éthéré semblera flotter à l’horizon.

. Réserver des pans du support papier coloré ou blanc, non pastellés. En fin de travail si ces trouées à l’état brut sont couvertes de pastel elles apparaîtront sous forme de lumière pure et s’imposeront tout naturellement au premier plan.

. Toute œuvre sur papier dont on est insatisfait, dessin, pastel, peinture à l’eau… est un fond incitatif à la création d’une œuvre nouvelle. Ces plages stimulent d’autant l’imagination que l’on ne craint pas de les violenter, ce qui libère le geste. Degas a exécuté des pastels aux couleurs ruisselantes de lumière à partir de ses monotypes en noir et blanc.

Dès que l’on commence à peindre, c’est souvent l’instant de grâce où, chargé de l’immanence de quelque chose de fort à délivrer, on est sous domination de l’intuition, et on oublie tout savoir ; il est alors moins question de composition de l’œuvre que d’orchestration d’un dépassement de soi !

Quelques soient ses moyens de construction, l’oeuvre est avant tout une interrogation de « fond » … de l’être !

 

A suivre :
– Observation d’après deux reproductions de pastels d’Odilon Redon
– Observation d’après les reproductions d’une aquarelle de Delacroix et d’une huile de Miró

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