Archives pour la catégorie Articles sur les arts plastiques

Face à face de l’œuvre et du regardeur

Il dépend de celui qui passe que je sois tombe ou trésor
Paul Valéry

A l’occasion d’un vernissage, le photographe a saisi la rencontre de Samantha et d’un pastel exposé. Surprise en cage dans un face à face avec l’oeuvre, Samantha se trouve dans des conditions d’isolement propices au dialogue ! Son attitude sensitive est évocatrice de ses sentiments.

Saisissement de la découverte !

Questionnement et recueillement

Moment du flottement de la perplexité ! Approcher le matériau, essayer d’en pénétrer le mystère, être à l’écoute de ce qu’il provoque en soi où tout se bouscule car l’oeuvre donne à ressentir, penser, imaginer, et questionne autant qu’elle demande…

Transportation au-delà de l’œuvre

Regard intérieur, peut-être inspiré par ce sentiment de plénitude secrète que l’on éprouve souvent à la visite d’une expo, et qui donne confiance en soi et désir de créativité.

L’œuvre qui s’est vue regardée, existe, ainsi est-elle ressourcement pour le regardeur, et l’auteur.

Ce qui importe c’est de fonder un amour nouveau à partir d’êtres et d’objets jusqu’alors indifférents
René Char (« Sous la verrière » conversation avec Georges Braque »)
avec l’aimable autorisation de Samantha et de ses parents
Papillon vermillon, pastel de Marie-Lydie Joffre
Photos © Jacques Joffre

Sunday, August 21, 2011

“Corps et ombres” Caravage et le caravagisme européen (4) Georges de La Tour

Georges de La Tour (Vic-sur-Seille, 1593 – Lunéville 1652)

image(1)Le Nouveau-né. Huile sur toile. Vers 1648. H. 76 cm ; L. 91 cm. Rennes, musée des Beaux-Arts

Voici l’inespéré en peinture ! Quiétude de l’inquiétude, chaleureuse intimité, les âges de la vie, jeune maman étonnée, pensive, petit souffle de tendresse comme un brin de buée au nez du nourrisson, on ne se lasse pas de contempler ce chef-d’oeuvre, sans cesse renouvelé telle la respiration. Oeuvre universelle.

Georges de La Tour est un peintre visionnaire. En son temps, le XVIIe siècle, ses oeuvres étaient déjà très appréciées. L’artiste, peintre ordinaire du roi Louis XIII recevait des commandes de la part de la Cour et de clients parisiens. Il avait offert au roi une peinture de “Saint Sébastien”, pièce si belle que le monarque “fit ôter de sa chambre les autres tableaux pour n’y laisser que celui-là.”
Pourtant, après sa mort, les oeuvres sont oubliées et ce n’est qu’au XXe siècle qu’elles sont réhabilitées. Seule une quarantaine de tableaux ont été retrouvés, la plupart ayant péri dans l’incendie de Lunéville à l’époque de la guerre de 30 ans.

Aucun portrait ni autoportrait de l’artiste n’existe.

La peinture de Georges de La Tour, crépusculaire nébuleuse où une tache rouge dominante est immergée dans un monde clos de tonalités ocres à bruns, inspire silence et méditation. La plupart des scènes sont en intérieur et les personnages peu nombreux comme dans les peintures du Caravage. Cependant le style de Georges de La Tour n’est pas réaliste mais stylisé à l’extrême de façon presque cubique ; les volumes, étagés en plans simples jusqu’à la retenue, la pudeur, l’immobilité, sont apprêtés pour l’éternité ! Chez lui les cris sont intériorisés. Ce qu’il cherche au travers d’un visage lunaire, un geste suspendu, une attitude figée, un regard lointain ou aveugle c’est à questionner la destinée de l’homme.

Georges de La Tour transcende le quotidien de spiritualité, la lumière de subtilité.

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 Ci-dessous extrait du journal Midi Libre : l’arrivée au musée Fabre de Montpellier du célèbre tableau “Madeleine à la flamme fumante”

image(2)“Madeleine à la flamme fumante”, tableau jamais restauré, juste nettoyé mais dans un incroyable état de conservation, le jour où il a été dévoilé au musée Fabre. A gauche, avec les gants, Jean-Patrick Mirandel, conservateur au musée de Los Angeles qui le prête.” A ses côtés Monsieur Hilaire, conservateur du musée Fabre.

 

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Voici deux citations du poète René Char à propos de l’art de Georges de La Tour (extraits des textes : LE NU PERDU 1964-1970)

JUSTESSE DE GEORGES DE LA TOUR

26 janvier 1966.

L’unique condition pour ne pas battre en interminable retraite était d’entrer dans le cercle de la bougie, de s’y tenir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant.

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Il ouvre les yeux. C’est le jour, dit-on. Georges de La Tour sait que la brouette des maudits est partout en chemin avec son rusé contenu. Le véhicule s’est renversé. Le peintre en établit l’inventaire. Rien de ce qui infiniment appartient à la nuit et au suif brillant qui en exalte le lignage ne s’y trouve mélangé. Le tricheur, entre l’astuce et la candeur, la main au dos, tire un as de carreau de sa ceinture ; des mendiants musiciens luttent, l’enjeu ne vaut guère plus que le couteau qui va frapper ; la bonne aventure n’est pas le premier larcin d’une jeune bohémienne détournée ; le joueur de vielle, syphilitique, aveugle, le cou flanqué d’écrouelles, chante un purgatoire inaudible. C’est le jour, l’exemplaire fontainier de nos maux. Georges de La Tour ne s’y est pas trompé.

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Hans Hartung, « Les sujets de l’abstraction » 2

25 janvier 2012 22:17 – Par marie-lydie joffre

Hans Hartung, « Les sujets de l’abstraction » 2

 

Ne plus rien figurer, ce que j’aime faire, c’est agir sur la toile. Hans Hartung (1904 – 1989)

Pour retrouver les repères de mon cheminement aux coups de cœur d’une galerie à l’autre, j’ai acquis le catalogue de l’exposition « Les sujets de l’abstraction », lequel reproduit les 101 œuvres. C’est réjouissant, après le choc émotionnel avec l’oeuvre originale, de pouvoir, avec le recul du temps, en prolonger la mémoire grâce à sa reproduction, ainsi que de découvrir des œuvres auxquelles on avait accordé peu d’attention.

On va observer 3 peintures de Hans Hartung mentionnées sur la page 1 du carnet de bord présenté dans le message précédent. En introduction voici quelques notes biographiques sur la jeunesse de Hans Hartung pour éclairer la genèse de ses œuvres.

Hans Hartung est né à Leipzig en 1904. Enfant, il est curieux de dessin et d’astronomie. «Lorsque j’avais entre huit et douze ans, j’étais passionné d’astronomie. Je cherchais à dessiner des éclairs ». Hartung a une sensibilité musicale, il pratique la photographie, suit des cours de philosophie, histoire de l’art, se forme aux maîtres anciens dont il fait des copies de dessins ou de gravures : Holbein, Cranach, El Greco, Rembrandt. Il est intéressé par l’expressionnisme allemand, aquarelles et gravures de Nolde, peintures de Kokoschka lequel utilise des brosses plus larges pour peindre. Des œuvres dont il s’inspire, il en fait disparaître l’objet et n’en retient souvent que des taches de couleur. Dans ses aquarelles des années 20, son style abstrait s’impose, tracés noirs posés sur des notes de couleur. Opposé au nazisme, il s’établit en France en 1935. Au moment de la guerre, il s’engage dans la Légion étrangère. Grièvement blessé au siège de Belfort en 1944, il sera amputé de la jambe droite. En 1946, il est naturalisé français.

Hartung est considéré comme un des précurseurs de l’art abstrait, notamment  de « l’Abstraction lyrique » (Action painting aux USA) peinture gestuelle au graphisme spontané, et de l’art informel « Le tachisme ». On va essayer de donner corps à ces concepts au travers de l’observation des œuvres.

  HARTUNG_T1947_14_L     T 1947-14. Hans Hartung. 1947. Huile sur toile. 96,9 x 130 cm

Hartung ne donne pas de titre à ses œuvres sinon parfois OPUS, mais il précise : «  T » pour tableau à l’huile, « P »  pour pastel, suivis de la date et du numéro de classement.

Dans l’ensemble, ses toiles font beaucoup penser à des dessins, et parfois, c’est le cas dans cette œuvre, à des esquisses. Le fond de la toile est peu travaillé ou bien rehaussé de tonalités discrètes, Hartung n’est pas coloriste, c’est plus la ligne qui l’intéresse et ses sujets tournent autour de graphismes. L’homme est sensible et introverti. Il a beaucoup produit d’œuvres sur papier : pastels, dessins, gravures. Peu narcissique, sa signature est minuscule. Ici, elle est située en bas à droite en lisière du support sous le rectangle.

Cette œuvre gestuelle, aux lignes tendres, peintes à l’huile diluée, mais qui ont la transparence d’une aquarelle, sur un fond de touches rapides qui ont la matité du pastel, résonne cependant comme une machinerie de guerre. Elle en a les tonalités et les sonorités. On y trouve déployé un imbroglio en camaïeu de camouflage, traces de sable ocre, terre verte, beige-grège aux lueurs jaunes. Hartung, pendant la guerre, envoyé en Indochine et en Afrique du Nord a dû en parcourir des traversées du désert psychologiques ! Un soupçon de bleu de Prusse et du noir relèvent les tonalités. Le peintre a-t-il été marqué par la beauté noire des laques asiatiques, des calligraphies arabes ? Le noir devient sa couleur privilégiée.

Dans l’espace de traces anthracite, évidées ou pleines de la toile, soudain le drame d’un jambage noir solitaire, issu de nulle part, brisure anguleuse, oppose sa rigidité aux rondeurs viscérales, aux circonvolutions de fil chirurgical en action cousant une blessure, pareils à ces spirales à l’encre noire que Hartung trace parfois les yeux fermés pour calmer ses angoisses.

En 1921 il avait peint une toile d’après une reproduction des « Fusillades » de Goya, lequel dénonçait les horreurs de la guerre, dans un style en rupture avec l’académisme de l’époque. Goya s’était inspiré d’œuvres préexistantes. Rien ne naît de rien, les artistes se sont de tout temps aimantés les uns les autres, s’opposant tout en apposant leur grain de sel. Créer c’est s’inspirer de ce qui existe, c’est le désir d’initier d’autres images. Ainsi l’abstraction a pu naître en fonction de la figuration.

On dirait que la toile de Hartung est une réminiscence de l’œuvre de Goya « Tres de Mayo » !

Densité dramatique, intensité de l’engagement, mouvement, et jusqu’à l’oblique de la composition ; ça ferraille, et le feu perce un ventre déjà rendu en cendres. Il émane de l’œuvre une force émotionnelle directe, authentique, plus dramatique que tant de peintures à l’huile dans l’histoire de l’art représentant des scènes de guerre sous glacis. Si l’abstraction lyrique rompt avec la figuration, c’est pour dépasser le visible et faire ressentir le sensible.

On ressent également dans la toile de Hartung les projections de son traumatisme de guerre. Exorcisme, mais aussi dépassement par l’art ; regardez ce cercle faisant le point dans un carré, on réalise en regardant l’œuvre de loin que cela pourrait être l’objectif d’un télescope ouvrant sur le mystère de la vie. Il y a dans l’abstraction de Hartung une dimension humaine et spatiale.

   HARTUNG_T1962-U49_LT 1962-U49. Hans Hartung. 1962. Acrylique sur toile 65 x 92 cm

Œuvre des années 60. Ce n’est plus le tumulte de la guerre mais qui sait celui, intérieur, feutré, de l’angoisse. On ne peut pas trop extrapoler sur cette toile qui se refuse à toute interprétation systématique. Ce qui attire tout de suite l’œil c’est, au coeur du tableau, un abîme de nuit noire lacéré de cruauté, suspendu entre deux couleurs, brun sombre et vert moutarde. Les deux éléments ont la texture d’un textile à rayures ton sur ton ; celle réelle d’une toile à cru, juste teintée ? Ou bien la texture due à une de ces alchimies coutumières du peintre, obtenues à l’aide d’outils insolites comme un râteau par exemple dont il fait grand usage pour labourer la peinture fraîche et obtenir ainsi de nouvelles lignes ?

  Sur le fond noir, des lacérations au stylet ont été pratiquées avec véhémence jusqu’à traverser l’épaisseur de la toile. Elles brillent comme des fils d’argent. Par-dessous, fourmillent des incisions arachnéennes peignées comme une trame et qui semblent s’effilocher à partir de tissus. On ressent la violence du geste conjuguée à une technique au fil du rasoir, étrangère à la peinture, et dans le fond l’hypersensibilité d’une toile d’araignée. Défoulement de l’angoisse ? Pratique pour exorciser la peur des éclairs qui poursuit Hartung depuis l’enfance ? Le noir prédominant, probablement produit à l’aide d’un pistolet à peinture, diffuse sur les deux coloris son crépuscule envahissant.

 La peinture abstraite ne représente pas le visible mais la nature de l’invisible en quelque sorte. C’est une peinture de l’esprit avec sa force de représentation comme la littérature ou les mathématiques, inscrite dans l’imaginaire. Rompre avec la figuration pour en retenir l’intériorité, l’émotion, l’infini ?

HARTUNG_T1973-E12_LT 1973-E12, Hans Hartung. 1973. Acrylique sur toile 154 x 255 cm

Ci-dessus, œuvre symbolique de la fulgurance de l’art de l’artiste à maturité. Hartung travaille désormais sur de grands formats depuis les années 60. Cette peinture impressionne par son format majestueux, l’ascèse de la composition, l’équilibre en suspension, la propulsion des couleurs et des lignes, la sensation d’apesanteur. La reproduction du tableau est agrandie pour mieux faire pénétrer le grain de la peinture. La copie est imparfaite à cause d’une ligne d’ombre verticale aux 2/3 de la surface de l’oeuvre, artefact dû à la pliure du catalogue, et le manque d’une petite marge noire à droite, rognée par le scanner, sur laquelle le rectangle jaune se détache en entier. Cependant, en faisant  « abstraction » de ces inconvénients, on reste sensible à la vitalité des 3 figures géométriques, la dynamique de leurs couleurs primaires, symbolique de tout un monde, sang de la terre, soleil, mystère de la figure bleu-nuit, fendue de noir comme pour projeter son ombre bleutée.

 La diffusion brumeuse à l’horizon de la plage noire remontant à gauche et à droite en mourant dans le blanc d’un ciel, est obtenue par vaporisation de peinture noire. Hartung, soucieux de se renouveler, est toujours en quête d’expérimentation. Il utilise des outils variés pour peindre et dessiner, tels pistolet à peinture, vaporisateur, brosse large, rouleau de typo-gravure, stylet, sulfateuse de vigne, tuyau d’arrosage, râteau etc. jusqu’à des branches d’arbre et de genêts…

  Cette peinture est l’objet de contrastes magnétisés. Noir et blanc côte à côte, le non et le oui, pénétration réciproque du vide et du plein, rigueur des figures géométriques pleines opposées aux envolées de lignes fines comme l’herbe, effusion chromatique sur fond assourdi de noir, matière texturée sur fond neutre, transparence de l’opacité, ombre et lumière suspendues l’une à l’autre…

 Les figures géométriques, peintes en épaisseur, d’un bloc, probablement avec les brosses larges se détachent sur le fond noir tout en faisant remonter du noir sous-jacent à travers leur texture. Une telle opération de grattage nécessite vitesse d’exécution car la peinture acrylique sèche rapidement. La matière ôtée relève d’un travail de graveur. La calligraphie des lignes aériennes, en revanche, est exécutée sur le fond blanc, la matière est ajoutée et non retirée. (Hartung doit à l’époque se faire aider par des assistants à cause de l’âge et de son handicap physique)

 Ces 3 masses souterraines à l’éclat de pierres précieuses assurent une certaine solidité à l’architecture de la construction en même temps qu’elles semblent se déplacer comme des planètes dans le cosmos tandis que la fougueuse partition de lignes noires émergeant de la puissance des couleurs nous invite à entrer dans la musique !

Catalogue de l’exposition : Les sujets de l’abstraction, sous-titre : Peinture non figurative de la seconde Ecole de Paris, 1946-1962. 5 continents éditions, diffusion Seuil, France

Ce lourd pavé de format presque carré 28×29 cm répertorie les 101 œuvres de la fondation Gandur, certaines agrandies en page simple ou double, la plupart présentées sur la page de droite et accompagnées d’un texte sur la page de gauche. Les reproductions des œuvres sélectionnées dans les messages du Blog seront scannées à partir des illustrations de ce catalogue.

A suivre : Hartung, un pastel et 3 huiles

« Corps et Ombres » Caravage et le caravagisme européen (3)

Michelangelo Merisi dit Le Caravage, 1571-1610
Observation de deux peintures :
La Flagellation du Christ
Ecce Homo



L’exposition Corps et ombres présentée au musée Fabre de Montpellier du 23 juin au 14 octobre 2012, fut un évènement exceptionnel par le nombre de chefs-d’oeuvre réunis, assorti de l’exploit d’avoir réussi à déplacer des peintures aussi prestigieuses que neuf Caravage, sept Georges de La Tour et une soixantaine d’oeuvres caravagesques illustres. Faisant suite aux  posts « Corps et ombres » Caravage et le caravagisme européen 1 et 2, voici l’approche de deux peintures que Le Caravage a réalisées dans sa maturité, quatre ans avant sa mort précoce en 1610.


Dans une salle du musée Fabre dont l’ampleur fait songer à une nef de cathédrale, des tableaux de grand format, sombres dans l’ensemble, exécutés par nombre d’artistes caravagesques, s’exposent au coude à coude. La majorité des peintures ont pour thème des scènes bibliques de décapitation. C’est impressionnant mais au bout d’un moment, prend l’envie de déserter la salle des supplices tant l’affluence des visiteurs alliée à la densité morbide des oeuvres accumulées deviennent éprouvantes !

C’est alors, qu’au sortir du tunnel, on a l’éblouissement ! Surgissant d’un tableau, un buste masculin à la troublante beauté athlétique plus vraie que nature s’affiche. Tout simplement on se retrouve face à l’intensité de la peinture du Caravage « La Flagellation du Christ » (1606-1607) ! 

Le Caravage, 1571-1610. La Flagellation du Christ. Vers 1606. Huile sur toile. 134  x 175,5 cm. Musée des Beaux-Arts de Rouen (seul musée en France avec le Louvre à posséder un Caravage)

Les bustes mis à nu de Christ flagellé sont légion dans l’art de notre culture occidentale mais aucun jusqu’ici ne montre le Christ tel que Le Caravage l’exulte dans un style naturaliste tendrement ombré, mettant en valeur son humanité et la proximité vivante de la sensualité de la chair. Le Christ ploie en figure de proue éclairant le monde, sous les brutalités sans conviction de deux tortionnaires – modèles issus du peuple que Le Caravage fait poser sous différents attributs dans ses peintures ; victimes dans la vie tout comme lui, le peintre a de la compassion envers eux – La colonne est tailladée sous les coups de fouet, mais le corps presque nu du Christ porte peu de traces de sévices. A la fois bien réel et surnaturel, il est déjà dans la transfiguration. La puissance de sa présence est au-dessus des contingences, visage exténué mais regard plongé dans un au-delà. Composition mouvante comme les vagues, la scène prend la dimension d’un pont de navire avec la cheminée, les exécutants et l’inconnu de la mer dont le Christ scrute l’horizon…


Oeuvre toute de concision, recueillie, qui ouvre à l’imaginaire du regardeur ; aucun artifice de maniérisme religieux ou baroque de l’époque, juste 3 personnages, 3 lames de fond enchaînées à une nuit de cachot éclairée partiellement par la lumière d’un soupirail venue sculpter visages et corps et graver des zébrures de fouet sur la colonne. On pense que Le Caravage peignait dans des ateliers sombres faiblement éclairés d’une lucarne ou à la bougie. Mais de cette insuffisance d’éclairage il en fait la puissance d’un jet de lumière qui s’abat sur la vulnérabilité des chairs notamment. Gamme de couleurs très restreinte. Tonalités de bure, la pourpre du manteau gisant au sol, symbolique de roi déchu, du sang qui va se répandre ; la blancheur du pagne de pureté, préfiguration du linceul…

Et une dynamique qui relie les personnages dans la même galère, comme pris au lasso d’un oeil dessiné en haut par la courbe des trois regards, en bas par l’arrondi du pagne et le bras éclairé du bourreau. Au milieu de cet ovale, un grand trou noir de mystère nous interroge. La colonne calligraphie les blessures. Scène pleine de retenue et de spiritualité ! De la tête du Christ, aux mains du bourreau, et en remontant à droite jusqu’à la main tenant le fouet, s’inscrivent les lignes abstraites d’une envolée ! Toutes choses de l’inconscient qui échappent à l’artiste et nourrissent l’imagination, tel le buste chatoyant ouvrant à d’autres dimensions : métaphore d’une tête de cheval ! Centaure, fougue du cheval pour galoper puisque la vie de l’artiste est placée sous le signe de l’échappée à la justice à perpétuité…

La biographie du Caravage est mal connue. Le peintre, à l’enfance misérable, est violent et belliqueux. Il sera poursuivi toute sa vie par les autorités pour ses moeurs et l’assassinat d’un adversaire au cours d’un duel vers 1606. C’est aux alentours de cette date qu’il peint les 2 oeuvres présentées ici. Si elles sont postérieures au meurtre il pourrait y avoir auto-projection de l’artiste dans l’oeuvre, se représentant aussi bien tortionnaire que victime en une sorte de rédemption. Quoi qu’il en soit de la chronologie des évènements de sa vie, Le Caravage était suffisamment intuitif pour présager de son avenir. Oeuvre testamentaire au terme de sa courte vie ?


Exemples de « Flagellations du Christ » célèbres
Piero della Francesca
Lucas Granach
Giotto
Le Guerchin (Ecole du Caravage)
Mantegna

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Ecce Homo est une oeuvre peinte approximativement la même année que « La Flagellation du Christ » et il semblerait qu’on y retrouve les mêmes personnages qui posent en modèle vivant.  « Ecce Homo » – Voici l’homme – est la présentation à la foule par Ponce Pilate du Christ condamné à la crucifixion. Le Caravage affectionne les scènes de sacrifice, ces thèmes qui lui permettent d’explorer la charge érotique de corps masculins dénudés.

Le Caravage, 1571-1610. Ecce Homo 1605 – 1606. Huile sur toile. 128 × 103 cm.
Palazzo Bianco, Gênes.La reproduction de l’eoeuvre est incomplète. 
il manque une marge au bas du tableau. La main droite n’est pas coupée !

L’homme jeune figure le tortionnaire tenant à la main le fouet plié. L’homme âgé, vêtu d’un costume de notable de l’époque contemporaine du Caravage, est Ponce Pilate. On dit que le portrait de cet homme serait l’autoportrait du Caravage. 

La scène s’inscrit dans un format presque carré, clos d’obscurité mettant en valeur la vague de lumière orientée sur le Christ. Les personnages y sont alignés de façon littérale comme s’ils posaient avec lenteur pour une photo d’identification en gros plan. 

La posture prostrée du Christ indique qu’il a renoncé à lutter. Son visage résigné, pensif, sombre dans la tristesse, les paupières baissées lourdes de sens accusent la maltraitance. Son buste irradie la lumière crue et caressante à la fois, mise en valeur par les contrastes du fond noir ainsi que de la masse noir profond du costume de Ponce Pilate. Les victimes chez Le Caravage semblent prendre toute la lumière comme une irradiation avant la mort. Le buste est épargné de toute trace de meurtrissures. En revanche les mains paraissent ankylosées. Le vaste pagne fait écho au linceul qui enveloppera le corps du Christ mort.

Jeux de mains le long de la diagonale du carré…

L’armature de la scène pourrait être la guirlande des mains qui jouent leur partition sur la diagonale reliant l’angle gauche à l’angle droit de l’oeuvre. Symbolique de toutes les mains qui ont pu torturer le Christ et qui s’acharneront à le tourmenter sur la croix ? Jeu de mains, jeu de criminel et victime ? Les mains du peintre sous différents aspects ?

Ponce Pilate parle avec les mains. C’est par le geste explicite de ses mains vides, il ne peut plus rien pour le Christ, qu’il présente le condamné à la foule et aux spectateurs.

Les mains du Christ sont comme paralysées, et les poignets, attachés en croix. Pressentiment de la crucifixion ? Projection d’une automutilation de l’artiste pour expier son crime ?  

Les mains du tortionnaire, adoucies par l’ombre, ôtent délicatement le manteau qui couvre les épaules du Christ pour exhiber le buste. Le manteau tendu pourrait préfigurer la planche de la croix. Par ailleurs, toutes ces mains suivent le cours du sceptre de roseau, symbole des naufrages du Christ.

Jeux de couvre-chefs en arc de cercle…

Si les mains parlent, les couvre-chefs aussi. On a là, trois représentations de la loi des hommes. Ponce Pilate, magistrat caparaçonné, manteau, chapeau et barbe fleurie, mène le monde. Mais ses yeux sont creusés de remords. Il ne semble pas être très à l’aise dans son rôle d’arbitre. Son chapeau sans ornement fait dans la simplicité mais se moque perfidement en douce.

Le tortionnaire qui croit lui aussi en l’innocence du Christ, contient sa douleur. Sur son serre-tête de chiffon une plume a été ironiquement dressée. Pauvre et digne, il chuchote des paroles d’apaisement au Christ, lequel semble attentif à ses propos. Deux hommes, complices contre l’injustice.

Le Christ ou représentant de Dieu, martyre couronné d’épines, la suprême moquerie, se retrouve dans le plus grand dénuement mais en même temps en pleine lumière, celle qui échappe par le surnaturel au pouvoir des hommes.

Le Caravage peint vite, à l’instinct. Au cours du travail il change d’idées, rectifie. Par exemple on peut repérer des repentirs au-dessus de la tête du Christ, dans une ligne en pointillé sous son avant-bras droit, et voir apparaître des amorces de doigt supplémentaire sur la main gauche de Ponce Pilate ! Les modifications sont souvent des suppléments d’âme à la perfection d’une oeuvre car on y ressent la turbulence de la faillibilité humaine !

Les spécificités de la peinture du Caravage : clair-obscur dont lutte entre ténèbres et lumière, naturalisme, décor minimal, sensualité, violence des sujets, compositions savantes inspire de nombreux artistes de son époque. Certains pousseront le clair-obscur jusqu’au « ténébrisme », d’autres au « luminisme ».

Mais ce ne sont pas les emprunts d’ordre technique uniquement qui ont fait les grandes oeuvres caravagesques – les emprunts de cet ordre sont, comme les gammes en musique, une nécessité fondamentale de tous les arts et chaque artiste naturellement les passe au filtre de sa personnalité indivisible – c’est la puissance et l’humanité des oeuvres du Caravage qui porte, leur souffle qui insuffle.

Qu’y a-t-il de commun entre un Caravage et un Georges de La tour, peintre caravagiste ? Dans le prochain post nous essaierons d’observer la peinture de Georges de La Tour

Une petite merveille ces vitraux Ecce Homo, vie du Christ !









« Corps et ombres » Caravage et le caravagisme européen (2)

Observation de deux tableaux du Caravage exposés au musée Fabre de Montpellier (22 juin – 14 octobre 2012)
– Salomé recevant la tête de St Jean-Baptiste
– L’amour endormi
 et d’une oeuvre du Guerchin

Salomé recevant la tête de St Jean-Baptiste. 1606-1607. Huile sur toile, 91 x 106 cm. National Gallery, Londres.

Œuvre magistrale, soleil de nuit dans un bloc de chair, action et méditation de la vie sur la mort. Peinture d’une austérité monacale, silencieuse, recueillie qui rompt avec l’idéal du baroque gestuel de l’époque. Les apports du Caravage à la peinture universelle y sont réunis.
Le thème, religieux.
Les personnages, réalistes et représentés à mi-corps, donc proches de nous, zoomés, et qui imposent leur géométrie sur un fond neutre, noir, sans décor.
Le clair-obscur, éclairage ponctuel venu d’une étoile sculptrice, faisant surgir dramatiquement du fond de la nuit, par contraste, les figures en haute lumière modelées d’ombres vigoureuses qui leur donne du volume et une présence saisissante de vérité.

L’équilibre des contrastes ombre-lumière de cette peinture atteint la justesse du nombre d’or. Maximum de force obtenue avec le minimum d’effets. Réduction de la gamme chromatique restituée en tons de noir et blanc qui mettent avec élégance en valeur les argiles ensoleillés des chairs. Les visages jeunes de Salomé et du bourreau arborent des intensités de pomme rebondie ; de pomme flétrie, le visage de la vieille femme ; du masque amidonné de la mort celui de St Jean-Baptiste. Rien d’inutile n’est exposé que le strict nécessaire, le plateau de cuivre, l’arme du bourreau – à connotation sexuelle – retenue entre les doigts de la main gauche. 

Par ailleurs, ce ne sont pas des modèles affectés qui posent pour le peintre mais des gens du peuple, de son entourage. On a retrouvé très peu de dessins du Caravage. On suppose qu’il peint directement sur la toile d’un trait alerte et définitif. Il ne rectifie pas sa peinture, ne cherche pas à l’améliorer. Ainsi les visages sont-ils saisis dans la réalité immédiate de leur vérité.
Chaque personnage est dans sa bulle mais tous sont unis par le mystère de l’action qui se déroule. Les interprétations de l’œuvre sont illimitées. On pourrait par exemple transposer le quatuor en métaphore des quatre saisons de la vie, une sorte de nature morte aux humains !

La composition est savante, structurée d’un jeu de lignes et de cercles qui se répondent en multiples destinations de l’émotionnel. Les 4 visages, positionnés sur une ellipse, interpellent, fascinent comme météore dans un ciel de nuit. Salomé et le bourreau, tous deux en action, sont placés en obliques parallèles qui rythment et cadrent la scène. Au milieu de la scène, une troisième oblique parallèle met en exergue le lien entre le regard inquiet de la vieille femme et le regard intériorisé de St Jean Baptiste comme pour relier au point le plus haut, celui de la prière, le point le plus bas celui de la mort. Par ailleurs cette ligne plongeante forme une croix avec la ligne droite horizontale qui dessine les épaules solides de Salomé et du bourreau portant les fardeaux.

Un triangle parfait passe par les 3 points formés des visages de Salomé, du bourreau et de St Jean-Baptiste dont le visage anguleux creuse l’angle de la chute. Le bourreau, séparé du groupe, se trouve un peu dans la position de l’artiste observateur « exécutant » un tableau ! A la croisée des chemins, sa main droite, noeud du drame, palpite en plein coeur de l’oeuvre.

le châle de Salomé aide la jeune femme à soutenir le plateau, et le drapé réplique aux plis de la tunique de travail du bourreau, échancrée à l’épaule pour ne pas gêner l’acte de décapitation. Ces lignes mouvantes apportent une note de fantaisie à la rigueur ambiante.

La ronde des regards raconte l’humanité. Salomé détourne son regard de l’insoutenable. La vieille femme en fixe la souffrance avec effroi et contrairement à Salomé qui nous fait sortir du cadre, son regard à elle nous retient au centre du drame. Elle semble prier et méditer sur la finalité de la vie. Le tête-à-tête contrarié des visages des deux femmes, nuque contre nuque, regards en envol d’accent circonflexe évoque la férocité du miroir des vanités.

Le bourreau fait respectueusement la démonstration de sa mission accomplie. La tête de Salomé et celle du bourreau penchent en rythme du même côté, cependant le regard du bourreau, frontal mais empreint d’humilité est apaisé et absent de la scène ; il se situe au-delà des contingences, comme en rêve. A sa façon le regard de Salomé s’absente aussi. L’homme tient la tête de la victime par le haut des cheveux pour la présenter dignement au public. Les traits particuliers de son visage on les retrouve dans d’autres représentations de bourreau (innocent de tout crime par essence) parmi les toiles du Caravage ; serait-ce l’autoportrait de l’artiste repentant qui n’a pas été épargné par la vie ?

La tête coupée de St Jean-Baptiste, donne à penser à un autre éventuel autoportrait du Caravage, (toujours porteur de barbe dans la vie) en victime ayant expié ses fautes…  En tout cas, le visage de St Jean Baptiste est le seul encore capable de délivrer une parole sous l’horizon des trois bouches closes des vivants. Le bras en raccourci du bourreau, entre les deux autoportraits pourrait être le vecteur de l’origine et de la fin de la courte vie du Caravage…

La circonférence d’un regard mystique celui-ci reliant tous les personnages, s’amorce à partir du châle blanc, se poursuit par l’arrondi du plateau de cuivre remonte par la ligne décolletée du vêtement et le visage du bourreau, termine sa trajectoire par une glissade au-dessus des têtes des deux personnages féminins, pour former une pupille qui encercle et réunit les personnages du drame dans le tondo de la misère du monde … ou l’œil visionnaire du Caravage.

Je vous invite à comparer l’œuvre du Caravage avec celle qui a inspiré Le Guerchin ci-dessous.
Le Guerchin (Giovanni Francesco Barbieri, dit Guercino) (1591-1666) peintre et dessinateur italien qui a étudié, parmi tant d’autres artistes, l’œuvre du Caravage

  
Salomé reçoit la tête de Jean-Baptiste. 1637. Le Guerchin. Peinture à l’huile. 139 x 175 cm. 

 
 L’amour endormi. 1608. Le Caravage. Huile sur toile, 71 x 105 cm. Galerie Palatina. Palazzo, Florence



Il m’a semblé à l’observation de l’oeuvre originale que cet enfant n’était pas endormi mais mort. Probablement les effets conjugués du fond très sombre et de l’éclairage à tonalité jaune-cire qui fige la respiration. La mort qui accompagne tout du long l’œuvre du Caravage est-elle déjà inscrite dans cet Amour gisant ?

La lumière du jour n’atteint pas les peintures du Caravage. C’est la nuit des ténèbres qui les pénètre. Les personnages sont éclairés comme au théâtre de lumière directe forte qui accentue les contrastes.

A suivre
« Corps et ombres » Caravage et le caravagisme européen (3)

« Corps et Ombres » Caravage et le caravagisme européen (1)

Le Caravage 1571 – 1610

« Corps et Ombres » fut la grande exposition médiatique présentée au musée Fabre de Montpellier du 23 juin au 14 octobre 2012. L’exposition réunissait neuf chefs-d’œuvre du Caravage – sur une soixantaine de toiles réalisées lors de sa fulgurante carrière – escortés de 74 toiles des principaux artistes du mouvement caravagesque du Sud de l’Europe, dont sept Georges de La Tour, un Velasquez, un Zurbaran !

Simultanément le musée des Augustins de Toulouse présentait l’autre volet de l’exposition « Corps et Ombres » avec les œuvres d’artistes du mouvement caravagesque du Nord de l’Europe, flamand et hollandais, tel Rembrandt par exemple. Les œuvres étaient prêtées par de prestigieux musées du monde entier. 

J’ai visité l’exposition du musée Fabre le 8 septembre, le matin, dans l’espoir d’éviter les foules et de pouvoir prolonger la visite l’après-midi. Mais sur le terrain j’ai dû m’adapter au contexte car avec l’afflux des visiteurs il était très difficile de s’approcher des œuvres. En début d’après-midi je me suis alors offert la compagnie des œuvres de Soulages que pour moi dans leurs galeries désertes ! 

Ces deux expositions ont été amplement commentées dans les média. Sur Internet on trouve beaucoup d’information sur Le Caravage et ses « suiveurs ». Aussi, me contenterai-je d’évoquer les œuvres qui m’ont le plus interpellée.

Mais tout d’abord quelques mots sur la brève vie de Michelangelo Merisi da Caravaggio (nom de la petite ville où il passe son enfance) Le Caravage naît à Milan le 29 septembre 1571. A 22 ans il entre dans l’atelier de Césari, peintre attitré du Pape. Il y peint fleurs et fruits. Puis il quitte l’atelier et se lie avec des artistes d’Académie. Il peint alors tableaux religieux et scènes de genre. L’homme est « belliqueux, violent, transgressif » écrit José Frèches, historien de l’art. Suite à un duel, Le Caravage tue son adversaire. Il est condamné à mort et mène une existence d’errance pour fuir la justice et l’Eglise. Il se déplacera à Malte, Naples, Palerme. Il n’a pas atteint ses 40 ans quand on le trouve mort sur une plage de Toscane en juillet 1616. Personne ne demandera sa dépouille. La cause du décès reste inconnue. Ces circonstances rappellent la mort du cinéaste Pasolini et, plus troublant, il y a une certaine ressemblance dans des portraits que dresse le Caravage avec le portait du cinéaste. Le génie du Caravage tombera dans l’oubli et sera reconnu au XIXe siècle.

Galerie du Caravage
Plusieurs peintures du Caravage seront observées dans les prochains messages. Voici pour commencer la peinture « Garçon mordu par un lézard »
               
 


Garçon mordu par un lézard
. 1593-1594. National Gallery, Londres. Huile sur toile, 66 × 49,5 cm

Cette œuvre a fait l’affiche de l’exposition. Son style précieux semble influencé par le Baroque né à Rome à la fin du XVIe siècle. Cependant on y reconnait le clair-obscur dense propre au Caravage. A la Renaissance les peintres recherchent à exprimer la lumière, et Léonard de Vinci est un des premiers à travailler le clair-obscur en expérimentant la répartition de la lumière sur un visage à partir d’une seule source d’éclairage. Le clair-obscur du Caravage est violent. Les ombres sont accentuées à l’extrême pour faire jaillir par opposition la lumière des ténèbres, le bien du mal, le relief des chairs et des choses.

Le garçon semble confiné dans un écrin car certaines ombres sont veloutées et il y a peu d’espace autour de lui. Le voluptueux drapé aux oiseaux figurant la chemise, coupé au coude, donne un prolongement virtuel aux lignes du vêtement. Cadrage serré, plein, personnage à mi-corps, massivité du corps, clair-obscur, ces caractéristiques du style du Caravage sont déjà inscrites dans cette oeuvre de jeunesse. 

La vivacité du garçon dont le doigt vient d’être mordu par un lézard donne à ressentir l’instantanéité de la morsure par le positionnement réaliste des mains et ausi parce que le personnage est pris dans la dynamique d’une diagonale qui abaisse le plafond et rejoint à angle vif la diagonale de bordure de la table creusée par une ombre forte noyant le buste. Le bras plié forme, de l’épaule jusqu’à la main, un autre angle vif contrariant le précédent, toutes ces obliques mettent de l’électricité dans l’alcôve ! Le tout est adouci par des détails extrêmement raffinés, le drapé de la soie, la nature morte au vase de fleurs rempli du charme d’une eau bleue. Tendresse dans les rondeurs du visage, sensualité de l’épaule. Œuvre pleine de symboles que vient encore accentuer la secrète diagonale qui relie la fleur dans les cheveux à celle du vase. Les portraits de jeunes-gens maniérés sont récurrents dans l’œuvre de l’artiste.




LIENS
Wikipedia déroule une belle liste de reproductions d’oeuvres du Caravage « identifiées ou contestées » ; la plupart de sa main
Et bien sûr sur des informations fondamentales sur la vie et l’œuvre du Caravage


A suivre
Salomé recevant la tête de St Jean-Baptiste
L’Amour endormi

Les sujets de l’abstraction (1)

  Les sujets de l’abstraction est une exposition qui a eu lieu au musée Fabre de Montpellier du 8 décembre 2011 au 25 mars 2012
Peinture non-figurative de la seconde Ecole de Paris (1946 – 1962)
101 chefs-d’œuvre de la fondation Gandur pour l’art
Ci-dessous la couverture de la plaquette de l’exposition, illustrée d’une peinture de Gérard Schneider
 MuseeFabre_plaquette ARTABSTRAIT
MuseeFabre-plaquette_ouverte
  Intérieur de la plaquette, illustrée de 6 peintures de gauche à droite :
En haut : Hans Hartung, Georges Mathieu, Jean-Paul Riopelle
En bas : Nicolas de Staël, Pierre Soulages, Zao Wou Ki
J’ai visité l’exposition le jeudi 5 Janvier 2012 : 5 heures d’affilée en compagnie d’œuvres magistrales, portée sur un petit nuage ! Deux étages avaient été aménagés pour la répartition des 101 tableaux, des toiles, majoritairement, grand format, parfois immenses. J’avais choisi de me laisser traiter par les œuvres, n’avais rien lu sur l’exposition ; j’allais à la source sans préparation, désireuse de découvrir le matériau pictural en tête à tête, bien concret, si l’art abstrait, quant à lui, renonce à représenter le monde visible.
J’avais avec moi une petite panoplie de dessinateur pour des notations coups de cœur, un carnet de feuilles Japon Calligraphie, un stylo Pilot Hi-Techpoint 0,5, un bâtonnet de graphite. Plus la sympathie des gardiens et de visiteurs, toujours avenants avec un dessinateur sur le motif. J’ai rempli de croquis in situ 18 feuilles sans m’en rendre compte et je vous propose de reconstituer mon cheminement sous plusieurs épisodes, au fil des feuillets de notes, pour essayer de capter les énergies émotionnelles de l’art abstrait.
Hans_Hartung_Croquis      Zoomer pour une meilleure lecture
C’est une oeuvre de Schneider qui accueille le public dans la première salle d’expo. Sur le coup j’ai trouvé oppressante l’immense toile démultipliée en largeur, éclaboussée à tout vent de multiples coups de brosses ternes, noir et blanc. Mais lorsque j’ai revu la toile en quittant l’exposition, j’avais changé d’idée et reconnu que cette toile calligraphiée de oui et de non était une métaphore du  parcours agité de la vie, une musique rythmée aussi !
En revanche, Hartung a capté tout de suite mon attention ! J’ai aussitôt ressenti l’authenticité de son oeuvre. Monde d’élévation et d’espace, terrien et aérien, dynamique de limpide mystère ; délicats, parfois des faisceaux de traits sont comme lacérés à la lame d’un couteau. Dans la grande toile de la plaquette (les formats des oeuvres pour la plupart ne sont pas indiqués) 3 figures géométriques ludiques mais imposantes d’architecture gravitent dans un cosmos, une mer sombre, tandis qu’un ciel de clarté balafre les voiles du vent… Rien de figuré, tout à imaginer, du sensoriel sans cesse renouvelé.
A suivre

La peinture : empreinte identitaire de l’artiste



Question de Marie-Lydie Joffre
Récemment au zoo de Lunaret, j’ai vu des canards élégants vêtus de beige, ocre-or et noir ! Ça m’a fait penser à ta peinture « Espèce de papillon » laquelle m’a fait à son tour rebondir sur un petit projet à partir de la riche matière picturale de l’oeuvre. J’aurais plaisir à présenter la métamorphose de ta peinture en fonction des cadrages, la façon dont le matériau se réincarne selon l’angle de vue proposé, tout en conservant la trace identitaire de l’artiste jusque dans les moindres détails. M’autoriserais-tu à « disséquer » ta peinture, à y fouiller dans les entrailles ?

Réponse de Anne Marie Galata
Chère Marie Lydie, Mais bien sur, je te permets de faire l’autopsie d’un papillon, sorti non de mon imagination mais de la fantaisie de mes doigts, tenant un pinceau. Et puis, lorsque je peins chez toi, ta personnalité ambiante agit sur moi.

Observation de la peinture de Anne Marie Galata« Espèce de papillon », encre de Chine et pigments sur papier aquarelle.
27 x 30 cm, octobre 2008.
Anne Marie Galata a laissé courir le pinceau sur le support de papier ; en retour son exploration tactile du matériau, ressource essentielle pour construire une œuvre de découverte et d’étonnement, loin de toute spéculation, a fait danser sa peinture !
Le matériau est une mémoire, comme la pâte à modeler, l’artiste y est tout entier inscrit dans l’empreinte que trace sa main, quel que soit l’état de l’œuvre, terminée ou en jachère, et on reconnaît sa singularité jusque dans le cadrage serré de son œuvre. Ici, chez Anne Marie Galata, entre autre gourmandise, raffinement des couleurs, humour, amour des animaux…!

Ci-dessous, une interprétation de la peinture Espèce de papillon sous plusieurs cadrages.
(1) la peinture originelle, ( 2) L’oeuvre ayant subi une rotation, (3) un cadrage moyen format, (4) (5) deux cadrages petit format du même motif central sous un angle différent


Ouragan dans la glaise ! L’argile décolle boursoufle tourbillonne, pâte papillonnante gonflée de remous, un papillon bagué d’un nœud de serviette, les ailes incrustées de fossiles crustacés, les papilles perlées de sève d’huître, couvre un oiseau qui vient nourrir au nid, sous le regard inspiré d’un chat en boule

En un tour de rotation à 90° anti-horaire le papillon se retrouve chien, il s’ébroue ses plumes frisent… Son museau de canard pointé au ciel interroge de ses yeux d’ubiquité,
puis caniche à tête de coeur fringant
il se dresse en X, face à sa créatrice !
Et si on lui faisait des coupes sombres dans l’épaisseur de sa forêt de bouclettes, fouillait les schistes de sa toison pour y rechercher des résonances, que trouverait-on ? Ci-dessous, quelques suggestions.

Tombée du ciel, une fleur minérale, à mimétisme animalier, oeil de tigre, yeux de chat, dans toute son ampleur d’écoulements anciens, de gouffres et d’abîmes, d’avalanches de feux, de racines noueuses, de pistils poudreux, de sauve qui peut… lape au reflet de l’étang du crépuscule

Désert d’ambre et terre-verte, rocher à tête d’hermine, long museau de chien à l’affût dans les lavis estompés de montagnes lointaines…

Sous un autre angle de vue, le chien se réveille. Se frotte-t-il les yeux ou est-il frotté d’un baiser de chèvre, sous le regard bienveillant d’un molosse à gueule fleur de feu ?

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Degas et le papier-calque (1)

– Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque
– Contre-épreuve de dessin au fusain

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Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque

Le papier-calque est un matériau que Degas utilise dans sa jeunesse, de façon traditionnelle pour des dessins d’atelier, relevés de routine, repérages, collages, à l’instar de ses contemporains, Puvis de Chavannes ou Gustave Moreau.

Par ailleurs, Degas, grand admirateur de Ingres, se souvient probablement des dessins de travail du maître, la transcription de figures existantes relevées sur calque pour des mises au point d’épure, nus ou portraits, avant de les introduire dans la composition du tableau.

En fin de carrière, vers 1890, Degas choisit le papier-calque comme matériau de prédilection. Et, s’il apprécie le calque en tant qu’outil pour sa souplesse d’emploi, sa facilité à accueillir un dessin, le dupliquer, le transférer, obtenir une forme inversée…, il va faire de ce matériau une fin en soi.

Degas commence toujours par un dessin au trait, généralement au fusain.

Le bâtonnet de fusain se délite tout naturellement lorsqu’il frotte un support de papier dessin présentant une surface texturée, et beaucoup de poussière s’échappe.
En revanche, le bâtonnet maintient sa compacité en glissant sur la surface lisse du papier-calque. Par conséquent, le trait de fusain reste net, précis et nourri. De la tonalité la plus noire à la ligne la plus fine, la plus pâle, c’est un plaisir de ressentir que le calque retranscrit le moindre souffle de la sensibilité ! Les aplats, de même, conservent intacte la matière impulsée par l’artiste, dont la trace perceptible du cheminement gestuel.
Il s’agit, pour conserver les dessins, de les fixer, au risque de soulever un peu de poussière de fusain si l’adhésif est manipulé trop vivement.

Le fusain est un matériau versatile, parfaitement adapté à la complexité de l’art de Degas. Une fois fixé, le trait au fusain est stabilisé. Voilà qui favorisera sa remontée en surface des couches de pastel qui viendront le couvrir.

Sinon, le trait au fusain est provisoire et vite effacé. Une chance pour Degas, artiste perfectionniste, toujours enclin au repentir.

La matière du fusain est dense et crépite comme le bois brûlé ; de quoi réjouir Degas, passionné de dessin, jusqu’à souhaiter qu’on inscrive sur sa tombe « Il aimait le dessin. »

Estompé, le fusain devient fluide, vaporeux. En tant que matériau évanescent, travaillé avec d’autres matériaux de dessin (pastel, graphite, aquarelle etc.) le pastel se laisse volontiers impressionner ! Degas en fera la base de ses pastels.

Le fusain est l’assise des oeuvres de Degas. De la forme la plus simple à la composition la plus élaborée, Degas constitue une réserve de dessins au fusain sur calque dans laquelle il puise pour composer de nouvelles oeuvres.

Il a coutume aussi de copier ses compositions sur le calque, afin de les reporter sur d’autres. Il fait glisser le dessin sur calque par-dessus une œuvre réalisée pour en juger de l’équilibre, en multiplier les figures, en assembler les sujets différemment…

Son dessin au fusain est mis en volume à l’aide de hachures et d’un modelé à l’estompe ou au doigt. Ainsi, obtient-il une surface monochrome qui pourra être par la suite éventuellement rehaussée de pastel ou entièrement peinte au pastel.
Degas signe les dessins au fusain sur calque qu’il considère comme œuvres à part entière.

A gauche, dessin A
Le petit déjeuner après le bain, vers 1880
Fusain sur papier-calque
109,5 x 80,6 cm
Musée des beaux-arts du Canada (18770)

A droite, dessin B
Etude pour la servante dans Le petit déjeuner après le bain
Fusain sur papier-calque
110 x 60 cm
Lefèvre Gallery, Londres

(Reproductions extraites de l’ouvrage « Les pastels de Degas » par Anne F. Maheux, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, 1988)

Observations :
Les deux fusains sont signés


Le dessin B semblerait être une copie du dessin A. Degas trace habituellement le nouveau trait de la composition à l’extérieur du premier. C’est pourquoi les dimensions du dessin B sont plus grandes

Caractéristiques du dessin B : le personnage est nu, alors qu’il est vêtu dans le dessin A, la naissance du ventre et des cuisses étant discrètement évoquée sous la robe. Finition du dessin, vigueur du trait

Ces personnages serviront de modèle au portrait de servante dans les deux exemples de pastels à la composition presque identique « Le petit déjeuner à la sortie du bain » reproduits aux paragraphes Pastel sur papier-calque et Ajouts de papier-calque

Contre-épreuve de dessin au fusain

A partir de ses fusains sur calque, Degas peut produire également des contre-épreuves ou dessins inversés. (dessins miroir)

Par exemple, le calque monté sur panneau est recouvert d’une feuille de papier ou de papier-calque, puis l’ensemble, aplani. Ainsi la contre-épreuve récupère un peu de la substance du fusain ; elle peut être travaillée par la suite au pastel. Dans cette opération si le dessin matrice perd des particules de poudre, en revanche des particules résistantes se sont incrustées dans ses fibres.

Variante de contre-épreuve : Degas pose une feuille de papier humidifié sur le calque au fusain et passe le tout sous presse. Le transfert de l’image inversée est pâle.

Degas pousse même l’expérience jusqu’à humidifier le calque au fusain, y déposer une feuille de papier dessus puis presser le tout. Sous l’effet de l’humidité, le dessin original s’enfouit dans le calque chiffonné et présente des masses irrégulières grumeleuses qui sont d’une certaine façon ainsi fixées.

Degas a une longue expérience dans sa jeunesse de la gravure à l’eau forte et de la lithographie. Au terme de sa carrière, on pourrait penser qu’il simule les lourdes manipulations des techniques de la gravure avec le matériau immatériel du calque ; comme un transfert au royaume de la spiritualité, quand ses forces physiques commencent à décliner ?

A gauche, dessin A
2 danseuses au repos vers 1895-1903
Fusain et pastel sur papier-calque 57,2 x 44,8 cm
Philadelphia Museum of art
The Samuel S. White III and Vera White Collection (II, 294)

A droite, dessin B
Danseuse au repos vers 1895-1903
Fusain et pastel sur papier-calque
65 x 43 cm
Portugal, Francisco da Cruz Martins (L. 1331 bis)

(Reproductions extraites du livre « Beyond Impressionism » de Richard Kendall, National Gallery Publications, London, 1996)

Observations :
La contre-épreuve (dessin B) a récupéré peu de poudre du fusain original, (dessin A) elle est donc plus claire et moins précise que l’original. Elle fait partie du sort des épreuves que Degas ne retravaille pas

La contre-épreuve restitue, sur la délicate fragilité du calque, la mystérieuse apparition de l’œuvre, toute de tendresse, plus effleurée qu’imprimée, et ouvre la voie à l’imaginaire que le dessin non fini sollicite de l’infini !

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A suivre

Degas et le papier-calque : Introduction

(1)
Etudes préparatoires au fusain sur papier-calque
Contre-épreuve de dessin au fusain
(2)
Fusain, sur papier-calque, rehaussé de pastel
Pastel sur papier-calque
(3)
Oeuvres en série sur papier-calque
Ajouts de papier-calque
(4)
Fixation du pastel sur papier-calque
Montage du pastel sur papier-calque
(5)
Ultimes pastels sur papier-calque



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